Chapitre 15 – En finir avec l’infamie

Vivement que le temps n’ait plus d’importance. Voilà plusieurs jours que j’attends et déjà, je ne tiens plus. J’ai passé tout mon temps devant un téléphone désespérément silencieux. Je l’ai débranché, je l’ai rebranché. Regarder la petite barre de défilement disparaître. Regarder la petite barre de défilement clignoter. J’en peux plus. Hier, je l’ai même secoué. J’ai failli le jeter contre le mur. Heureusement que le facteur a frappé à la porte. Il m’apportait un pli recommandé. Je ne l’ai même pas ouvert. Plus rien ne m’intéresse. Impossible de quitter cette pièce, de me faire à manger, de prendre une douche, de dormir. Il faut qu’il sonne ! Il faut qu’il sonne ! Et moi, il faut absolument que je fasse autre chose !

Je suis retourné tripoter Robassot, juste pour m’occuper, et je n’ai pas trouvé mieux que cette fameuse association de numéros perdus, avec son énergumène à l’entrée. Finalement, à force de l’écouter parler, je me demande si nos destins ne sont pas liés. En tout cas, ils sont certainement plus proches que ce que j’avais d’abord cru. Il attend, moi aussi. Alors autant qu’on attende ensemble, et qu’on reste assis sur le pas de la porte en interpellant les passants. Je l’avoue, je profite un peu de son handicap. Il cherche un numéro, et moi j’ai son téléphone, mais il ne le sait pas. La situation est grotesque. Disons que c’est pour passer le temps. De toute façon, les portes s’ouvriront certainement pour moi avant qu’elles ne s’ouvrent pour lui.

— Il faut mettre fin à toute cette histoire. Il faut que je trouve ce téléphone, que je le détruise, et que je détruise toutes les machines qui permettent les voyages. Il faut sauver le monde. Il faut m’aider.
— Pourquoi voulez-vous tout détruire ?
— Vous ne vous rendez pas compte ! Ce qui va se passer est terrible ! Nous allons être envahis par des mutants. Des dictateurs arrivistes vont distribuer les hommes et les femmes comme bon leur semblera. Jamais nous n’aurons assez de machines pour faire que les voyages soient libres d’accès. Regardez déjà avec les voitures ! Regardez combien il faut de voitures individuelles pour que les populations ne soient pas dépendantes des transports en commun, de leurs horaires, de leurs prix et de leurs grèves ! Hein ! Combien ? Combien faudra-t-il de machines intermondialiques pour permettre à tous les mondes d’en jouir sainement ? Personne n’aura la patience d’attendre que toutes les machines soient construites avant d’en faire un objet machiavélique. L’individualisme nous pend au nez ! Tout va disparaître !

Dis-donc… Je ne sais pas ce qu’ils lui ont fait à celui-là, mais apparemment, il y a quelques connexions qui fonctionnent à nouveau normalement ! Dire qu’il y a quelques jours, il fallait que je lui tire les vers du nez. Maintenant, il pourrait écrire ses mémoires !

— On dirait bien que votre mémoire revient, non ?
— Non. Je ne me souviens de rien. Je ne me souviens pas que la Compagnie des Trois Mondes m’a poursuivi pendant plusieurs heures à travers la ville, qu’elle m’a attrapé avec un filet géant en me tirant des cartouches soporifiques dans la jambe droite, qu’elle m’a emmené dans une clinique spécialisée dans l’effacement de données humaines, qu’elle m’a…
— Ben… Apparemment, si, vous vous en souvenez !
— Non ! Je vous dis que je ne me souviens de rien ! Je ne sais pas que la machine intermondialique est tout bêtement enterrée sous le parking de l’Hôtel de Ville, qu’il suffit de composer un simple code de quatre chiffres pour y entrer, que tout est automatique, qu’il faut se brancher les doigts sur les diodes et penser à autre chose…
— (…)
— Quoi ? Pourquoi vous me regardez comme ça ?
— Il vous manque quoi comme information pour venir à bout de votre projet de destruction ?
— Mais ! Vous n’avez rien compris ! Je vous dis que je ne me souviens de rien. Soit. Il ne se souvient de rien. BANANE ! A part une bonne vieille technique d’auto-persuasion à la con, je ne vois pas ce qui l’empêche de faire ce qu’il a à faire !
— Il faut détruire la machine ! Il faut trouver le téléphone ! Ouais, il faut surtout que mon téléphone sonne avant que tu ne retrouves toutes tes capacités, sinon, je ne sais pas comment je vais profiter de ma nouvelle vie, moi !
— Et vous, par exemple, vous feriez quoi ?
— Quoi ? Je ferais quoi avec quoi ?
— Si vous aviez le pouvoir de maîtriser les voyages intermondialiques, vous feriez quoi ?
— Ben… je… je voyagerais…
— C’est plus fort que tout ! La moindre personne normalement constituée en profiterait pour s’enrichir, et vous feriez pareil ! Balancer ses ennemis dans le monde inverse pour qu’ils crèvent ! S’installer dans le troisième monde pour y vivre une vie de pacha ! Jouer à “qui mourra en premier ?” juste pour voir si on peut ressusciter les nouveau-nés du monde inverse !
— Mais… pas du tout… je…
— Vous ne pourriez pas vous en empêcher. Je ne pourrais pas m’en empêcher. Personne ne pourrait s’en empêcher. Même l’Abbé Pierre ne pourrait pas s’en empêcher. Les perspectives sont trop vertigineuses. Et il y aura toujours quelqu’un pour nous supplanter tous, pour nous reléguer aux rangs des assouvis. Croyez-moi, les dictatures éternelles seront les dernières, et si vous n’en êtes pas le patron, vous en serez l’esclave !

Mince, alors ! C’est qu’il serait en train de me convaincre, l’imbécile ! C’est vrai que si je ne contrôle pas tout, je risque de connaître le pire… Ah ! Qu’est-ce que je dois faire ? Je vais encore tout foirer ! Tout va disparaître par ma faute ! Ah ! Je savais qu’il ne fallait pas que je garde ce téléphone ! Il a raison ! Il faut mettre fin à tout ça ! Il faut que le vieil imbécile m’aide. Maintenant ! Parce que si y a un truc que je ne veux pas, c’est bien finir à Loser City !

— Je vais vous avouer quelque chose, Monsieur.
— Oui ?
— Le téléphone, il est dans ma poche.

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Driiiiing !

SOMMAIRE

Chapitre 1 – Vive la nature !
Chapitre 2 – Au pied du mur
Chapitre 3 – Alea jacta est
Chapitre 4 – Relais H
Chapitre 5 – Les trois mondes
Chapitre 6 – La théorie du complot
Chapitre 7 – L’erreur fatale
Chapitre 8 – Comment ?
Chapitre 9 – Association de malfaiteurs
Chapitre 10 – Le gros lot
Chapitre 11 – La mission
Chapitre 12 – Camarade !
Chapitre 13 – Le roi des mondes
Chapitre 14 – Le temps retrouvé
Chapitre 15 – En finir avec l’infamie
Chapitre 16 – Low batteries

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Chapitre 16 – Low batteries

Michel. Un fou squatte l’entrée d’un local associatif, interpelle les passants, parle tout seul en alternant chuchotements et cris d’angoisse, se fait passer pour un insomniaque paranoïaque à la mémoire trouée par des tortionnaires sanguinaires, et à force de poser quelques questions judicieuses, il finit par lâcher le morceau : il s’appelle Michel. C’est incroyable comme un prénom aussi banal peut rendre banale la personne qui le porte. Je suis presque déçu. Tous les mystères s’effondrent. Quand on s’appelle Michel, on ne peut pas avoir voyagé dans trois mondes différents, on ne peut pas avoir participé à la plus grande campagne de résistance de tous les temps, on ne peut pas avoir été un espion pourchassé et lobotomisé.

Et pourtant.

Quand j’ai dit à Michel que je possédais le téléphone qu’il cherchait, j’ai cru qu’une auréole s’était mise à briller sur ma tête et que Dieu lui-même me faisait les oreilles d’ânes dans le dos comme dans les cours de récréation des écoles primaires. Jamais vu une telle réaction. Michel s’est immédiatement arrêté de bouger. Il est resté bouche bée pendant plusieurs minutes et, en faisant un effort surhumain pour percevoir les sons qui semblaient grelotter sous sa langue, j’ai compris que de cette bouche immobile sortaient des syllabes qui, mises bout à bout, ressemblaient à une question.

— Ê, euh, ou, a, é, i ?

En y mettant quelques consonnes et après plusieurs tentatives, j’ai trouvé quelque chose de cohérent : Qu’est-ce que vous avez dit ? Pauvre Michel. Trop d’émotions d’un coup, certainement. Je lui ai répété ma phrase, lentement, calmement, comme si je parlais à une personne très malade, malade au point où les mots peuvent déclencher aussi bien une survie miraculeuse qu’une expiration fatale. Trouver le ton juste, le bon rythme, Le téléphone…, pas trop fort, … que vous cherchez, …, sans heurts, sans violence, … il est dans ma poche, et attendre anxieusement… Ouf ! Il a fini par comprendre ce que je lui disais. Il s’est jeté à mes pieds, puis s’est mis à me serrer les jambes d’une telle force, que j’ai cru que l’une d’elles allait casser sous la pression. Il s’est levé d’un coup sec, s’est mis à tourner autour de moi en entamant une sorte de danse sacrale effrénée. Un vrai Sioux. Il s’est planté devant moi, m’a tendu la main, et m’a enfin avoué : je m’appelle Michel.

J’ai failli m’enfuir.

On a ensuite pu parler normalement. Tous les arguments qu’il a développés m’ont bien décidé à poursuivre mon objectif d’autodestruction intermondialique. Le plus dur, c’était de ne pas faire qu’une petite action de rébellion, mais bien de mettre définitivement fin au programme d’exploitation de la Compagnie des Trois Mondes. Selon Michel (décidément, je ne m’y ferai jamais), il n’y aurait aucun moyen de reproduire une machine comme celle qu’il avait utiliser. C’était un pur hasard. Des scientifiques englués dans des recherches stériles essayaient de construire une machine à laver révolutionnaire qui sèche et qui repasse. Un jean était passé dans un des mondes et sans aucune explication, un homme l’avait enfilé. Il était ainsi revenu dans la machine, comme par magie. Il suffira donc de détruire le seul et unique exemplaire. Aucun scientifique n’a encore réussi à comprendre comment le processus intermondialique se déclenche. Mais rien ne dit qu’ils n’y arriveront pas mais sans le prototype, ils n’auront aucune chance. Nous nous sommes quittés avec un plan infaillible : Michel se rendra au siège de la Compagnie, il détruira la machine, et moi, j’abandonnerai le téléphone dans un caniveau. A deux, nous sauverons le monde !

Et voilà !

Voilà comment je vais mettre fin à tous mes rêves. Voilà comment je vais rester un sauveur de monde anonyme. Voilà pourquoi je vais bêtement retourner travailler lundi. Voilà pourquoi j’ai jeté tout à l’heure la prise qui permettait de recharger le téléphone. Voilà pourquoi j’ai embrassé les éboueurs qui emportaient mes poubelles. Voilà pourquoi je suis au milieu de mon salon à regarder le téléphone s’éteindre à petit feu.

Ah ! Comme l’euthanasie est un acte cruel. Les morts sont toujours si longues à venir. Comme j’aurais préféré avoir le courage de retirer la batterie, ou de massacrer l’écran à coups de marteau ! Le besoin d’un destin meilleur est plus fort que tout, et je crois bien qu’au fond de moi, j’espère que le téléphone sonnera et qu’il sera encore temps de trahir Michel. Tant pis pour lui, je m’enrichirai tout seul.

Low batteries

Ce n’est plus qu’une question de minutes, maintenant. Le téléphone clignote, comme un dernier appel au secours. Bientôt, il n’aura plus aucune force pour afficher quoi que ce soit. Que vais-je bien pouvoir faire de tout ça ? Bah, j’écrirai certainement un roman de science-fiction. Avec un peu de chance, ce sera un succès, et je me ferai un peu d’argent.

Low batteries

Adieu, petit téléphone. C’est drôle, il me revient une petite comptine que chantait ma grand-mère quand elle ramassait un petit oisillon agonisant. Dors, dors, petit oiseau… Et le petit oisillon s’endormait dans sa main, comme ça, calmement. Ah ! Comme c’est difficile ! Et ce temps qui ne passe pas ! Combien de fois vas-tu encore clignoter ? Pourquoi a-t-il fallu que….

Driiiiing !

Ah ! Pas possible ! Il sonne ! Il sonne ! Au secours ! Vite ! Ah ! Le destin m’a choisi, encore une fois ! Qu’est-ce que je vais lui dire ? Et si Michel a déjà détruit la machine ? Et si on m’appelle juste pour que je suce gratis ? Ah ! Vite ! Il faut faire vite !

Driiiiing !!

J’arrive, j’arrive. Je suis là, je suis prêt. A moi la gloire et la richesse éternelle !!!

— Allô ? Allô ? {Mais il n’ose pas parler ou quoi ?} Allô ? Je vous écoute ! {Il m’entend pas. Il va croire qu’il y a personne. Il va raccrocher. Il ne rappellera jamais}. ALLÔ ?? JE SUIS LÀ ! JE SUIS PRÊT !!!!

Mince, alors. Il marche plus. Il aura sonné une seconde avant de crever, ce con !

Et je crois bien qu’il ne sonnera plus jamais.

Et zut !

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Chapitre 14 – Le temps retrouvé

Il n’y a plus qu’une seule chose qui compte à présent dans ma vie : mon téléphone intermondialique. Je peux à présent tout envoyer paître et attendre qu’il sonne. J’ai pris un congé au boulot en prétextant la mort imminente d’une vieille tante malade. Pour décrocher quelques jours supplémentaires, j’ai même inventé une histoire de promesse que j’avais faite à ma mère sur son lit de mort, lui jurant que jamais je n’abandonnerai sa soeur, et que je l’accompagnerai jusqu’à son dernier souffle. Je crois bien que j’ai pleuré. Je démissionnerai quand tout sera parfaitement planifié. Inutile de se mettre en danger. On ne sait jamais, ça peut prendre quand même un certain temps. Sûr que j’aurais pu rester tranquillement travailler, mais je ne résiste pas au plaisir de goûter à mon nouveau loisir : attendre ! Attendre au fond du canapé en sirotant un diabolo fraise, attendre que la gloire frappe à la porte, attendre que l’avenir sourît enfin. Ah ! Comme il est doux d’attendre lorsqu’on a une telle destinée !

Je repense à cet imbécile qui m’a donné ce téléphone. S’il savait tout ce qu’il a abandonné en se séparant de lui ! Héhéhé… J’ai presque envie de le retrouver pour lui montrer le pouvoir qu’il m’a légué. Je me demande bien si Robassot pourra trouver une association où tous ceux qui ont perdu une occasion pareille se réunissent pour pleurer ! Certainement que l’imbécile s’y trouvera, et au premier rang en plus ! Remarque, vu la vitesse à laquelle il s’en est débarrassé, c’est qu’il devait vouloir se soulager d’un grand poids, donc Robassot devrait le trouver dans une association de personnes soulagées, heureuses et libérées. Ah, ah ! Et dire que ça m’a coûté un café ! Les gars comme lui, je les mettrai dans le troisième monde, dans la catégorie « loser éternel » parce que la bêtise humaine mérite bien son musée, et grâce aux multiples options qui s’offrent à moi, je ne serai pas obligé d’en faire des pantins de cire pour figer leur sinistre vie inutile et ratée. Le musée Grévin du troisième monde sera un véritable zoo de spécimens vivants. Ah, oui ! Je ferai ça ! J’y mettrai les footballeurs, les présentateurs de la météo, les hommes politiques déchus, les inspecteurs des impôts, Guillotin et le pape ! Ah, ah ! Il me faudra une ville tout entière pour y mettre tout ce petit monde ! Un musée ne suffira jamais ! Loser City sera une ville immense où tout ce qu’il y a de stupide dans le paysage urbain n’existera plus que là-bas : les ronds-points, les pistes cyclables, les McDonald’s et les pharmacies de garde.

Quel bonheur !

Je ne serai plus jamais pauvre, je n’aurai plus jamais mal aux dents, plus besoin de faire la vaisselle, d’attendre le mois de janvier pour aller skier, de payer mon loyer avant le 5 du mois, de cotiser pour la retraite, de remplir le frigo, d’aller chez le coiffeur ! Il fera toujours beau, je serai bronzé comme un surfer Hawaïen. Je me figerai à la trentaine pour être en pleine possession de mes moyens, et si je veux me rajeunir pour retrouver les joies de ma jeunesse perdue, il suffira que j’aille faire un séjour dans le monde inverse. Un petit tour du côté de ma post-adolescence ne me fera pas de mal, et mes étranges refoulements n’auront qu’à bien se tenir, car je ne leur laisserai pas le loisir de me gâcher la vie une seconde fois. C’est tout de même plus efficace qu’une psychanalyse, et mieux vaut ne jamais avoir eu de problèmes que d’essayer de vivre avec toutes sortes de pathologies. Comme cette acné tardive qui a souillé mon visage au moment où tous les gars de mon âge faisaient de multiples conquêtes, m’empêchant à la fois de développer mon amour propre et la liste désespérément vide d’ex-petites copines ; ou cette nuit terrible où la maison de mes parents avait été cambriolée. C’était la première fois qu’ils me laissaient tout seul. Deux hommes cagoulés et armés étaient entrés par la cuisine, et à force de fouiller chaque pièce, ils avaient fini par trouver ma chambre où, naturellement, je dormais à poings fermés. Ils se sont mis à sauter sur mon lit en hurlant comme des sioux et n’ont rien trouvé de mieux que de décapiter une à une, sous mes yeux horrifiés, chacune des petites peluches qui ornaient mes différentes étagères. Je crois que c’est devant le massacre de Pioupiou, mon petit serin jaune, que je me suis évanoui ; ou encore ce jour sinistre où un moniteur d’auto-école dépressif a décidé de nous emplafonner dans le fond d’une impasse en actionnant lui-même les pédales du véhicule. Je suis resté plusieurs heures encastré entre l’airbag et l’appui-tête, le regard posé sur un cadavre défiguré, et je n’ai jamais pu remettre les pieds dans une voiture, ni ma tête sur un oreiller. Dix ans de transports en commun, de taxis et de marche à pied. Dix ans à tenter de dormir la tête posée sur un dictionnaire. Quinze ans de célibat, vingt-cinq ans de cauchemars.

Il est temps d’en finir !

J’ai installé mon téléphone à la place de la télé, et je passe mes journées à le contempler. Sur le coin droit de l’écran, quatre barres indiquent qu’il est toujours chargé, et pour vérifier qu’il fonctionne, je le débranche quelques heures, j’attends qu’une des barres disparaisse, je le rebranche et je regarde les petites barres défiler, prouvant qu’il est bel et bien en train de se recharger. Quelle sonnerie va surgir de ce petit appareil ? Quelle voix empruntera le destin lorsqu’il décidera de m’ouvrir toutes ses portes ? Les sonneries sont parfois tellement stupides. Celui que j’utilisais avant avait des bouts de concertos, des chants d’oiseau, des génériques de série américaine, des salsas, des rires, quelques sonneries « traditionnelles » et un mode « silence ». Je suppose que celui-ci aussi.

J’espère que je ne serai pas déçu.

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Chapitre 13 – Le roi des mondes

Ou bien je suis fou, ou bien je suis le roi du monde ! Que dis-je ? Je suis le roi des mondes ! Ah, ah ! Un éclair divin me transperce de la tête aux pieds, et je me sens enfin porté par un tourbillon de gloire. Mon nom et ceux de mes descendants se graveront dans le marbre. Chaque parcelle de nos corps servira de relique et des milliers de drapeaux seront arborés au sommet de temples gigantesques élevés en hommage à notre noble existence ! Ah ! Comment ne pas se laisser enivrer au moment où s’ouvrent tant de perspectives, comme ça, d’un seul coup ? À quoi donc pourront bien ressembler ces mondes lorsque je les aurai forgés, à mon goût ? Ah ! Mais qu’est-ce que pouvait bien penser Dieu devant son univers vide ? Était-il, comme moi, rongé par le doute, au point de laisser trois mondes étrangement contradictoires se côtoyer bêtement, sans jamais se toucher ?

Franchement, si je n’avais pas été sûr de ferrer un idiot, je ne me serais jamais arrêté devant ce vieillard abattu, et je serais sorti d’ici aussi pauvre que j’y étais entré. À vrai dire, il n’était pas si vieux, mais abattu, ça, oui, il l’était bel et bien. Ma première conclusion ne m’avait pas si mal orienté. J’avais juste oublié qu’un tel affaissement moral peut donner l’impression que la jeunesse s’arrête lorsque la légumisation de l’esprit commence, et qu’un vieillard alerte peut parfois sembler plus jeune qu’un bêta de vingt ans. Sûr que celui qui m’avait interpellé sur le pas de la porte avait dû subir une série inhumaine d’électrochocs barbares pour tenir un discours aussi peu cohérent.

Je l’ai d’abord laissé lancer ses gloses sur de soi-disant milices secrètes qui le poursuivaient à travers le pays. Il m’a décrit une chaîne de renseignements ahurissante et un niveau de surveillance invraisemblable, allant même jusqu’à mettre des micros dans les ampoules des toilettes publiques et des miroirs sans tain (oui, oui, comme au commissariat) dans toutes les maisons. Puis, il s’est calmé. Il a parlé d’une mère stérile qui vivait près d’un lac au sommet d’une montagne, d’une famille yougoslave qui volait des caravanes dans les campings du littoral breton, et d’exploits sportifs. Il était persuadé d’avoir participé aux jeux olympiques d’hiver dans une ville plantée au milieu du désert, et d’y avoir remporté une série de médailles, dont celle du lancé de petits pois germés. J’ai bien vu qu’il divaguait et qu’en l’absence de véritables souvenirs, il fallait bien qu’il invente une partie de sa vie, juste pour la rendre légèrement intéressante. Enfin, il a parlé de ces mondes parallèles dont on l’avait forcé à oublier l’existence. « Qui pourrait oublier un monde où il ne se passe jamais rien d’autre que ce qui s’y passe tout le temps, hein ? Et l’autre, là, où tout ce que vous attendez n’arrivera jamais ? JAMAIS !!! ».

J’avoue que j’ai mis un tout petit peu de temps à comprendre cette phrase. Il hurlait comme un forcené. Je l’ai laissé continuer, comme si je ne faisais plus vraiment attention à ce qu’il me disait et tout en essayant de reconstituer son discours, j’ai compris que ce malheureux énergumène, qui bavait légèrement en parlant, était en train de me décrire des mondes parallèles dans lesquels il avait certainement voyagé. Finalement, sa mémoire n’avait pas été si endommagée que ça. Seules les connexions qui devaient, en principe, lui permettre de s’en servir, étaient complètement grillées. Il suffisait qu’un malicieux comme moi en pompe la substance pour la réactiver ailleurs, dans une autre tête. Tant pis pour les passages incohérents. Chaque élément finirait bien par me servir à un moment ou à un autre. Je ne m’étais pas trompé…

J’ai donc appris que mon petit légume inutile avait bien voyagé dans des mondes parallèles, et qu’en comptant le nôtre, il en existait trois, qu’une bande de fous furieux étaient en train de poser quelques jalons sur notre avenir afin qu’ils s’enrichissent, que nous nous appauvrissions et que les fruits de toutes ces découvertes ne servent qu’à quelques privilégiés que le hasard a désignés pour être tout simplement les premiers. À en croire mon petit haricot vert, les premiers seront aussi les derniers, car s’ils vont jusqu’au bout de leur projet, ils mettront en péril l’existence même des mondes, à commencer par le troisième. C’est fou comme il a pu revenir sur ce fameux “troisième monde”. Un monde où tout est là, tout le temps. Une sorte d’éternité figée dans laquelle des hommes ont été placés, pour toujours. Il n’y a pas de temps, pas de commencement, pas de fin. Rien n’est créé, rien n’est détruit. Sauf que depuis que les voyages intermondialiques existent, certains habitants de ce monde ont décidé qu’ils avaient aussi le droit de connaître la naissance et la mort, qu’il suffirait de placer la cruauté dans le monde inverse et la bonté dans le nôtre pour que chacun puisse vivre en harmonie avec lui-même. L’idée d’une possible reproduction au-delà, bien-sûr, d’un simple plaisir sexuel bêtement instinctif, leur donne des idées tout à fait honorables et ce n’est pas pour rien que la résistance est née là-bas. Une résistance formidablement orchestrée qui utilise des téléphones cellulaires pour communiquer. Mon petit chou rouge était censé en transporter un d’un monde à l’autre, mais il s’est fait attraper, et aujourd’hui, le téléphone en question, il est dans ma poche.

Ah, ah, ah, ah, ah !

Quelle merveilleuse perspective ! Le téléphone sonnera, j’entrerai en contact avec un des plus importants membres de la résistance, je le persuaderai que je suis le candidat idéal pour servir la noble cause qu’il défend, je m’arrangerai pour me placer sur la liste des personnes qui peuvent voyager dans les trois mondes, je serai le meilleur espion par ici, le meilleur résistant par là, et lorsque que je contrôlerai tous les courants d’opposition, j’installerai une immense fortune et un immense pouvoir là où personne ne pourra jamais le contester et je détruirai tout ce que je peux détruire pour garantir à mon nouveau statut une pérennité éternelle, même si je dois détruire la machine et les hommes grâce à qui je devrai tout, absolument tout, ce que j’ai d’heureux dans cette nouvelle vie.

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Chapitre 12 – Camarade !

Nous avons mis en place un réseau de communication intermondialique parallèle au vôtre afin de déjouer les plans machiavéliques qui se trament par chez vous. Votre organisation est pourrie de l’intérieur, et vos dirigeants tentent d’utiliser les voyages intermondialiques pour établir un ordre nouveau qu’ils seraient les seuls à contrôler. Les personnes qui régissent votre monde font tout pour affaiblir leurs sociétés et transfèrent leurs dettes qui, par l’effet de l’intermondialisation, deviennent ici de véritables fortunes. Vos places boursières ne sont que des miroirs négatifs d’une réalité qui se constitue ailleurs et malgré les apparences, c’est bien les sociétés les moins cotées qui sont aujourd’hui les plus puissantes. Vous devez déjà en ressentir les effets : un chômage en constante augmentation, une inflation énorme, une croissance économique savamment ralentie, des pays de plus en plus pauvres. Malheureusement, je peux vous l’assurer : le pire reste à venir.

Le trafic intermondialique n’est pas resté aussi inaperçu que vos pontes le souhaitaient, et il y a quelques personnes par ici qui comptent bien en profiter. Elles sont en contact avec vos dirigeants qui, naturellement, les trouvent charmantes et inoffensives. Je ne vous le cache pas, ces personnages inoffensifs seront chez vous les pires ignominies que l’espèce humaine aura engendrées depuis le début de sa longue évolution. La guerre est à vos portes. Une guerre nouvelle, sans règles ni pitié, dont les stratégies transversales réduiront les militaires au même rang que les fourmis les plus inutiles de l’univers.

Un groupe de résistants a réussi à se constituer. Les citoyens des trois mondes doivent reprendre les rênes des voyages intermondialiques, car nous n’aurons bientôt plus que nos yeux pour pleurer et nous serons impuissants lorsque nos enfants imploseront sous nos yeux. La rupture de l’équilibre intermondialique risque de perturber toutes les forces sociales. Les paradigmes s’inverseront à souhait, les délits et les crimes deviendront, en un éclair, des bienfaits salvateurs, et chaque parcelle d’humanité doutera jour après jour de ce qu’elle voit, ne sachant plus si le cauchemar qui défile sous ses yeux discerne la réalité de la sombre inversion de ses désirs refoulés.

L’heure est grave, camarade, et nous avons besoin de vous. Le troisième monde est suspendu à votre décision car, vous vous en doutez, après tout ce que je viens de vous dire, il sera le premier à disparaître totalement, plaçant ses habitants dans une phase d’autodestruction irréversible.

Le seul moyen dont nous disposons pour communiquer entre les mondes, c’est le satellite. Des téléphones cellulaires ont été distribués à nos agents, garantissant ainsi la sûreté de nos échanges. En sortant de la stratosphère, les communications sont redirigées vers les mondes de nos choix et passent tout à fait inaperçues. Personne ne peut les intercepter. Notre seul problème était de trouver des appareils qui fonctionnent dans les trois mondes. À ma connaissance, les appareils à fonctionnement inversable n’existent pas encore. Nous utilisons donc des appareils conçus dans le troisième monde, où tout fonctionne tout le temps, pour permettre aux deux autres de communiquer. Comme vous le voyez, notre chaîne de communication est très simple, mais elle vient d’être rompue.

L’agent qui devait passer le dernier téléphone s’est fait attraper à la frontière de votre monde. Il a tenté de s’enfuir malgré une chasse à l’homme dantesque et, dans un geste sacrificiel, a abandonné son appareil au premier venu, dans la rue, en lui demandant de le maintenir en veille jusqu’à ce que l’un d’entre nous l’appelle. Notre agent n’ayant jamais avoué, il a subi un lavage de cerveau et la compagnie des trois mondes l’a relâché dans la nature, sans mémoire ni avenir.

Camarade ! Vous devez récupérer ce téléphone ! Il vous suffira d’en composer le numéro, et la personne qui le possède actuellement vous l’apportera sur un plateau, où que vous soyez. Retenez les chiffres que je vais vous donner, car ils sauveront tous les mondes, aussi bien le vôtre que le mien. Je vais vous les donner trois fois de suite. Dès que vous les aurez retenus, vous n’aurez plus rien à faire ici. Vous connaissez la procédure pour rentrer chez vous. Le temps presse, camarade !

C’est bon, je les ai ! JE REVIENS !

Le commandant de bord et son équipage vous remercient d’avoir choisi la « Compagnie des trois mondes » pour effectuer votre voyage intermondialique. Nous vous informons que votre demande de retour a été prise en compte et que la fréquence de liaison vient d’être rompue. Nous vous souhaitons la bienvenue dans votre monde.

Casqué, branché. Tout va bien. Je n’ai même pas glissé du fauteuil. Oh, la, la ! Quelle histoire ! Moi qui devais déjouer un complot, me voilà embrigader dedans ! Non, mais ! Qu’est-ce donc que ce grossier personnage qui me donne l’ordre de trahir mon propre monde, hein ? Et puis qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire à mes supérieurs, moi ? Non ! Je ne peux pas faire ça, je suis en mission. Il s’est trompé d’interlocuteur, le camarade ! Rien à faire qu’un monde tout entier reste suspendu à mes décisions. Je… j’ai… Et notre chômage n’a rien à voir avec tout ça ! Et… je… j’ai… Et ce chefaillon qui s’est installé dans le monde inverse. Il a perdu toute sa fortune ici et la compagnie lui a donné une seconde chance là-bas. Pourquoi ? Hein ? Pourquoi lui ? Non, c’est impossible. C’est pire que le bagne que de se retrouver dans un monde inversé. En plus, avec tout cet argent qu’il a perdu… enfin… tout cet argent qu’il a gagné… je… j’ai…

Ah ! Je ne sais plus quoi penser ! Et s’il avait raison ! Mais bien-sûr ! Ouvre les yeux, imbécile ! Tout est tellement si flagrant. Il est temps de réagir ! Toi qui rêvais de servir une bonne cause, c’est le moment ! Un peu de piment dans la vie n’a jamais tué un cheval ! Et puis, que de déceptions dans tous ces voyages ! Jamais de libertés, toujours des contraintes ! Voilà enfin de quoi leur redonner un peu de sens. La cloche a sonné, camarade ! Penchons à présent du côté de la résistance.

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Chapitre 11 – La mission

Qu’est-ce que c’est fatigant le monde inverse ! Depuis ce matin (enfin, ce soir), je n’arrête pas de courir après les taxis. Ici, « courir après un taxi » est à prendre au sens propre, évidemment, car pour prendre un taxi, il faut attendre que le taxi se mette en route, et courir à côté en lui criant une destination inverse. Ce qui est bien, c’est que la mentalité des chauffeurs de taxi est réellement inversée, donc il ne roule pas trop vite. Mais quand-même, il faut courir. Pour la destination, j’ai compris le truc. J’utilise la négation, tout simplement, et quand je leur dis « Ne m’emmenez surtout pas au siège social de la compagnie des trois mondes », en général, ils y vont, c’est plus fort qu’eux. Le taxi, ça reste le moyen le plus pratique pour m’éviter de chercher. Je n’ai pas encore trouvé de clé qui me permettrait de savoir où je suis sur un plan, et encore moins de savoir où je vais. C’est du Javanais pour moi. “Vous êtes ici” est toujours à l’opposé de la ville, et les rues sont toutes à l’envers. Je me demande parfois si je ne suis pas dans le monde « bordel », où tout a été mis au hasard, comme ça vient, avec une intuition étrangement inspirée. M’enfin ! C’est vrai que je pourrais y aller à pied aussi, et m’éviter l’épisode athlétique du taxi, mais franchement, qui se passerait des remboursements de frais de ma compagnie quand en plus, le chauffeur verse au client le prix de la course sans la DVA (la détaxe sur les valeurs amoindries) ?

Pas moi.

Vivement que je retourne dans mon vrai monde parce que là, j’en ai vraiment marre ! Je n’ai pas encore réussi à manger vraiment, et ça fait déjà deux jours qu’on se regarde tous en chiens de faïence pendant les réunions parce que mes hôtes n’ont soi-disant rien à me dire. Tu parles ! Nous sommes au coeur d’une affaire d’espionnage d’envergure intermondialique, et les services publics (l’équivalent de nos services secrets) n’ont rien à me dire ! Non, comme d’habitude, il n’y a que le hasard qui fera que mon interlocuteur arrivera à me rencontrer. Quand il demande si je suis arrivé, ses crétins d’administrés lui répondent que je ne suis pas là, et ça peut durer plusieurs jours comme ça. La dernière fois, je suis reparti bredouille. Impossible de mettre la main dessus. J’ai su plus tard qu’il avait eu une urgence dans le troisième monde. Comme les voyages intermondialiques sont véritablement secrets, tout le monde croyait qu’il était là, et je ne m’étonnais pas qu’on me dise qu’il était en vacances de l’autre côté de l’Atlantique. J’ai couru partout dans la ville, de site en site, de bureau en bureau. Et, oui ! Pour le trouver, il faut que je traverse la ville de parts en parts. Personne ici ne me dira jamais où il est vraiment. Je m’y suis fait, même si les voyages en taxi à travers les rues bondées de piétons écrasés me minent parfois le moral.

Me voilà au siège de la compagnie. Comme d’habitude, c’est fermé. Il va falloir que j’attende que les hommes de ménage viennent salir les bureaux pour entrer. Heureusement, il suffit que j’entre dans le hall d’accueil pour savoir que mon interlocuteur est vraiment là ou pas, parce que le standardiste me renseigne toujours parfaitement. Enfin, j’me comprends. S’il me dit qu’il n’est pas là, c’est qu’il m’attend dans son bureau. Le plus dur finalement, c’est d’arriver à entrer.

— Monsieur ! Téléphone pour vous !

Ah, oui ! J’avais oublié le coup du téléphone. C’est un peu comme les crottes de nez, une sorte de rituel local auquel on ne peut pas échapper, et auquel je ne peux pas m’habituer non plus, malgré le nombre incalculable de voyages que j’ai faits dans le monde des mutants. Ici, donc, les téléphones sonnent en permanence, surtout quand les lignes sont occupées. Et depuis l’avènement du téléphone portable, on voit déambuler dans les rues des milliers de piétons qui portent au ceinturon le petit objet retentissant. Quand on a un appel, le téléphone s’arrête de sonner et dès qu’il se remet à sonner, on le remet dans sa poche. C’est comme ça. Je n’ai toujours pas compris comment ils faisaient pour communiquer vraiment, mais apparemment, ils sont aussi avancés que nous dans ce domaine. Je suppose qu’il doit y avoir un moyen de savoir ce que l’autre pense, surtout si on ne le sait pas. C’est parfois un petit peu déroutant à comprendre, mais j’imagine qu’il y a un truc de cet ordre. Il suffit en effet que personne ne sache rien pour que tout le monde le sache. Comme quoi, les sociologues psychanalystes qui travaillent sur l’inconscient collectif ont encore beaucoup de choses à apprendre. Il ne faut donc pas s’étonner qu’un passant s’arrête dans la rue et refile son téléphone à un autre passant. Dès que le téléphone s’arrête de sonner, on le passe à un autre puisque, de toute façon, si on nous appelle, c’est que ce n’est pas pour nous.

Logique, non ?

Bon, ben me voilà avec un téléphone. Y avait longtemps que je n’en avais pas eu, tiens ! Il faut que j’attende qu’il sonne, et je le mettrai dans ma poche. Comme ça, en plus de courir après le taxi, je sonnerai, comme tout le monde. En attendant, je vais faire “coutume locale” et écouter ma non-conversation en silence. Ça me fera une pause…

— Bonjour Monsieur, je sais que vous ne pourrez pas me parler, et je connais les méthodes de votre compagnie. Essayez de ne pas penser à ce que je vais vous dire. Vous le retiendrez, de toute façon, et vous pourrez agir plus tard, en lieu sûr. Surtout, ne dites rien !

Mince, y a quelqu’un ! Penser à autre chose. Oh ! J’ai faim ! Qui ça peut bien être ? Mais pourquoi je suis venu ici alors que je devais aller de l’autre côté de la ville ? Penser à autre chose, penser à autre chose. Tiens, il va pleuvoir. Ouf, j’ai oublié mon parapluie !

— Très bien ! Je vais être bref pour éviter les soupçons. Notre commando porte des espoirs patriotiques en vous, camarade, car vous êtes notre dernière chance. Si nous n’agissons pas, nos mondes vont imploser. Les pires cauchemars sont à nos portes. Écoutez bien ! J’ai une mission pour vous.

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Chapitre 10 – Le gros lot

Une assemblée générale, c’est jamais vraiment drôle. Le président démissionnaire lit le compte-rendu de la précédente réunion. Pour être officiel, un compte-rendu doit être adopté par la majorité des membres présents. Il y a toujours un membre qui chipote sur une phrase qu’il n’aurait pas exactement dite comme ça, et qui, sortie de son contexte, ne témoigne pas vraiment des idées qu’il avait développées. Le secrétaire démissionnaire explique alors qu’il est bénévole, qu’en dehors de son activité au sein de l’association, il a également un vrai métier, une famille à charge, et qu’en plus, ces derniers mois, il avait amené sa voiture à la casse, que son frère avait débarqué du Québec après six mois d’absence avec une femme toxicomane et une fille handicapée, qu’il avait enterré sa belle-mère, que dans les réunions, il n’avait pas le temps de reprendre mot à mot les propos de chacun, que si les membres souhaitaient des comptes-rendus plus fidèles, il fallait engager une secrétaire qui écrit en sténo, que le poste de secrétaire était vacant, et que s’ils le souhaitaient, les contestataires pouvaient se porter candidats. Là, le membre bougonne, puis il lève la main pour adopter le compte-rendu.

Ensuite, le trésorier démissionnaire fait le point sur l’exercice en cours. Il rappelle que toutes les cotisations n’ont pas été payées. Évidemment, ça ne concerne que les membres qui ne sont pas venus, alors, il faudra prévoir un courrier de rappel. On décide de ne pas exclure les membres qui n’ont pas payé, sinon, l’association risque de perdre en crédibilité devant les élus, et qu’il vaut mieux, de nos jours, se serrer la ceinture du côté des adhésions plutôt que de passer pour une coquille vide auprès des officiels. Le président démissionnaire toussote, mais il est d’accord. Il demande qu’on cherche une solution pour pallier le déficit provoqué par ce manque à gagner. Le trésorier démissionnaire propose d’augmenter légèrement les cotisations pour les nouvelles adhésions, et ce, à partir de ce soir. Là, c’est moi qui toussote.

Il est temps à présent de bâcler l’ordre du jour. On n’a évidemment plus le temps de revenir sur les trois derniers points. Afin d’éviter les sujets qui fâchent, il vaut mieux les mettre en fin d’ordre du jour. Comme ça, on est sûr qu’ils ne seront pas abordés, et le bureau démissionnaire prendra en son âme et conscience, c’est-à-dire en comité restreint, les décisions nécessaires à la bonne tenue des objectifs de l’association. À la fin de l’assemblée générale, on procède à l’élection du nouveau bureau. Il n’y a aucun candidat. Tout le monde trouve que les anciens membres du bureau sont très efficaces. Chaque membre hésite quelques secondes, propose à des personnes, au hasard, d’occuper la place qu’il cède volontiers, puis accepte de se porter candidat, mais, pour la dernière année, cette fois !

Mouais. C’est sûr que les assemblées générales, c’est pas très passionnant. Je croyais que c’était comme dans les films américains, qu’on disposait les chaises en rond dans une pièce froide et mal éclairée, et qu’on faisait le tour des nouveaux membres, que le nouveau se levait, racontait son histoire, puis s’effondrait au bout de six phrases, soutenu par ses nouveaux amis.

Pas du tout.

C’est à peine si le but de l’association a été abordé. Durant toute la réunion, je n’ai pas entendu parler une seule fois de quelconques numéros perdus. Je crois qu’en allant militer pour un nouveau centre commercial à la portée de tous auprès de l’association des riverains du bassin des trois sirènes, j’aurais eu le même type de réunion informelle. Heureusement, il y a les petits buffets à la fin des réunions. C’est le meilleur moment pour faire de nouvelles rencontres. On est d’abord abordé par le trésorier réélu qui sait donner les formulaires d’adhésions et faire en sorte que les nouveaux ne ressortent pas sans avoir réglé leur cotisation. Et le hasard place les personnes en position de « je n’ai rien à te dire mais je vais t’en parler quand-même », on commence par dire où on habite, depuis combien de temps on adhère à l’association. Il y a toujours les anciens qui racontent les débuts du mouvement, quand ils n’étaient encore que quatre, et que le siège social était à l’autre bout de la ville. Enfin, on se demande ce que chacun est venu faire ici. Ma position de nouveau venu me permet de poser des questions idiotes à tout le monde.

Je me rends compte que personne ne vient chercher la même chose, et qu’une association de numéros perdus renferme une multitude d’expériences toutes aussi différentes les unes que les autres. Comme celui-là, qui cherchait son numéro de sécurité sociale. La caisse à laquelle il était rattaché avait perdu son dossier, et depuis, il n’était plus rien aux yeux de la solidarité nationale. Il devait payer plein pot toutes ses consultations médicales. Au début, ce n’était pas gênant, mais depuis qu’un cancer s’était déclaré dans ses parties intimes, sa survie devenait un gouffre financier dont il ne se sortait pas. Et celui-ci, qui a perdu le code d’accès de son immeuble. Il est SDF depuis six mois, n’arrive pas à entrer dans son immeuble car les habitants étaient en pleine mesure d’expropriation, et qu’il était le dernier locataire. Plus personne n’entre chez lui, et plus personne n’en sort, et lui, il reste dehors. J’aborde enfin mon histoire de numéro perdu. Tout le monde me regarde bêtement. Trois d’entre eux me lancent « Oh, pas de chance », et cinq me racontent l’expérience de quelqu’un qu’ils connaissent à qui c’est arrivé mais, évidemment, personne n’a trouvé de solution. C’est bien ma veine ! J’écoute encore un peu les autres, puis je décide de rentrer chez moi, pensant que mon adhésion ne me servira certainement pas à grand-chose.

Dans le couloir, un vieux monsieur est resté assis dans un coin. Il n’a pas ouvert la bouche de toute la réunion, jusqu’à ce que je passe devant lui.

— Petit, viens par ici. Moi aussi, j’ai perdu un numéro.
— Oh ! Et quel numéro avez-vous perdu ?
— Celui qui me permettait de contacter le troisième monde.

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Chapitre 9 – Association de malfaiteurs

Ressortir bredouille d’une agence, flâner sur le trottoir en regardant si une autre boutique pourrait mieux me renseigner sur les téléphones que l’agence de téléphone elle-même, voilà bien l’état de notre service public ! Est-ce normal de se demander si on ne ferait pas mieux d’aller voir un garagiste pour connaître son numéro de téléphone ? Remarque, vu que tout est en concurrence maintenant, que le privé offre des services que le public n’offre plus et qu’il suffit de monnayer un peu pour avoir n’importe quoi n’importe où, j’ai peut-être mes chances chez le garagiste, après tout. Voyons ce que j’ai en poche. Cinq euros, soixante-douze centimes. Aucune chance.

Faisons un rapide tour d’horizon pour voir ce que le paysage urbain peut m’offrir comme service : une agence de voyage, un garagiste, deux boulangeries, une supérette, trois distributeurs automatiques de billets dont un ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, un fromager, une librairie, deux revendeurs de matériels informatiques d’occasion, quatre coiffeurs. QUATRE COIFFEURS ! Mince alors, c’est fou ! J’ai du mal à m’imaginer ce qu’un coiffeur concurrent peut proposer de différent pour le préférer à un autre coiffeur concurrent. À ma connaissance, ils coupent les cheveux, c’est tout.

Que faire quand plus personne ne répond à votre demande, hein ? Que font les victimes quand elles n’ont plus de voie de recours ni de moyens d’action ? Comment faire quand le libéralisme s’acharne à jeter les victimes sur le trottoir ? C’est simple, il n’y a pas dix mille solutions. Les victimes contactent d’autres victimes et créent des associations. Elles font des actions publiques sur les chaînes de télé, vendent leurs histoires dans les journaux à scandale et puis, à force de pétitions et de téléthons, deviennent un véritable courant d’opinion. Pour gagner en crédibilité, les associations se réunissent en fédérations, puis en confédérations et pour avoir une envergure nationale voire internationale, elles s’allient à une quelconque organisation non gouvernementale. Après, on les reçoit au ministère, et leur problème devient cause nationale.

Il y a bien longtemps que les politiciens ont compris qu’ils ne pourraient jamais remplir leurs missions de service public, et qu’ils laissent les problèmes s’accumuler. Plutôt que d’essayer de résoudre le problème de chacun et de l’anticiper, mieux vaut les laisser s’organiser en association. Ne jamais s’occuper d’un problème avant qu’une association n’en parle dans le journal local. De toute façon, tant que l’association n’a pas de poids médiatique, elle ne sert qu’à faire des assemblées générales et des plans d’action. Grâce à ce système, les politiciens gagnent facilement quelques années, et avec un peu de chance, le problème surgit lors de leur mandature, mais sera résolu par l’opposition que se sera servi des associations locales pour regagner du terrain dans la ville et pour amener les citoyens à voter « contre » pour voter « pour » sans voter « contre ceux qui sont pour », mais en votant « pour ceux qui, comme eux, sont contre ».

C’est sûr, j’ai peut-être une solution : la maison des associations. Il y en a partout, dans chaque ville. Les mairies leur donnent de beaux locaux où elles peuvent afficher leur raison d’être, et parfois même se réunir. Et comme pour montrer leur intérêt pour la vie associative, les mairies ont même installé des relais « informatiques et libertés » où le commun des mortels peut venir tapoter des recherches sur des ordinateurs derniers cris. Le programme porte même un nom : « Robassot, le robot des assos ». Globalement, c’est une immense banque de données où il suffit de taper des mots-clés pour avoir l’association qui s’occupe de son problème, l’adresse et le numéro de téléphone de la section la plus proche, un résumé des trois dernières assemblées générales, le tarif des adhésions et une photo du président. S’il existe, on est invité à se rendre sur le site Internet de l’association. Le robot nous propose alors un accès privilégié mais là, naturellement, ça devient payant. L’accès à Robassot est limité à cinq recherches par habitant et par mois. Il faut entrer toutes ses coordonnées personnelles et accepter de recevoir le bulletin municipal et les offres promotionnelles des sponsors.

Cela dit, le service est bien pratique. Il suffit de taper « fromage de brebis » et « bio » et hop, on est transféré sur l’association des cultivateurs de fromage de brebis bios. Robassot, voyons ce que t’as dans le ventre !

ENTREZ VOS MOTS-CLES : « numéro perdu, téléphone portable, bassin des trois sirènes, menace d’appel d’urgence, conseiller clientèle ».

RESULTATS DE LA RECHERCHE : L’AVC (association des victimes du clientélisme), l’AVSP (association des victimes de sirènes de pompiers), l’AAUADPV (association d’appel d’urgence pour animaux domestiques perdus ou volés), l’association « Agir pour demain, vous n’êtes pas un numéro ! », l’association des riverains du bassin des trois sirènes, pour un nouveau centre commercial à la portée de tous, l’association d’aide et de soutien pour les remises en forme de la mémoire des tétraplégiques insomniaques et un lien pour « voir les cinq résultats suivants ».

Ah ! Dix pages ! Il y en a plus de cinquante ! Avec toutes ces adresses, il doit bien y avoir une association dans chaque hall d’immeuble. C’est pire que les dentistes et les psychanalystes ! Tiens, je vais faire une recherche avec mon adresse ! Ah, ah ! Pas manqué ! Trois associations ! Une association contre les dangers des épilations définitives au laser, une association d’alcooliques anonymes et une pour « mourir chez soi, c’est un choix ». Oh… Mince alors ! Je crois que je vais revenir à ma recherche, moi. Heureusement, je peux “affiner les résultats”. Allez, Robassot, fais un effort, s’il te plait !

BINGO ! Trois résultats ! L’ANDP (association des numéros de téléphones perdus), « Une de perdue, dix de retrouvées », l’association de soutien pour les nouveaux célibataires et l’association des riverains du bassin des trois sirènes, pour un nouveau centre commercial à la portée de tous. Encore ! Qu’est-ce qu’ils ont avec leur centre commercial ! Allez, c’est pas grave, je crois bien que j’ai trouvé l’association qu’il me faut. Hop ! Assemblée générale ? Dans deux jours ! Hourra ! C’est mon jour de chance !

Merci, Robassot.

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Chapitre 8 – Comment ?

Autrefois, les agences de téléphone étaient de vieux enclos puant le renfermé. Les femmes étaient vieilles, elles allaient toujours par deux, et si vous arriviez dans l’agence au moment où l’une d’elles racontait à l’autre comment son soufflé au fromage était retombé juste au moment où sa belle-mère était en train de lui faire un compliment sur sa cuisine, alors, valait mieux ne pas avoir une facture en retard ou une revendication trop ambitieuse. Le ton devenait plutôt grave, au sens où tout ce qu’allait dire la dame allait devenir important, à commencer par la date de paiement de la facture de juillet qui, “nous le comprenons, Monsieur, avec les vacances et tatati et tatata”, doit être payée le 15, et non le 28. La pièce où l’on accueillait le public était recouverte d’une moquette gris-vieux, et l’administration avait enfin trouvé un endroit pour ranger tout ce qu’elle avait de ringard, de la lampe de bureau au fauteuil en skaï, en passant par la belle reproduction un peu jaunie par le temps du « Déjeuner sur l’herbe ».

Et beh, c’est plus ce que c’était, les agences de téléphone. Maintenant, ce sont des métropoles technologiques, des sortes de hangars immenses carrelés de haut en bas. Tout est orange, vert-pomme et citron, les affiches clignotent et tournent sur elles-mêmes, des écrans plats géants déversent des publicités silencieuses. Les agents des PTT ont été remplacés par des conseillers “clientèle”. Ils sont tous jeunes, ils ont un sourire accroché aux oreilles, ils courent à la chasse aux infos à travers le hall, connaissent par coeur les offres de tous les concurrents, prêts à dénoncer la moindre manipulation médiatico-publicitaire dont le client pourrait faire les frais. Ils sont préformatés pour servir et pour vendre. Si le client ressort de ce qu’on appelle “l’espace commercial” sans ticket de caisse, sans produit cher et inutile pour lui, alors la journée est ratée, improductive, désespérante et inutile.

En haut, un aquarium où les pontes de l’agence travaillent en toute transparence. Tout le monde est affairé derrière un ordinateur dernier cri, un casque sur la tête en guise de téléphone, répondant au quart de tour. La conversation avec le client ne doit pas durer plus de dix minutes. Ici, on fait du cinq à sept clients de l’heure, et on vend tout ce qu’on peut vendre : forfaits jour, forfait nuit, forfaits textos, forfaits appels internationaux, sans oublier le forfait “mon numéro favori”, grâce auquel on peut joindre un correspondant, gratuitement, le week-end de 10h30 à 15h15, et en semaine après 21h27, en dehors des périodes rouges et vertes, sauf le soir de Noël et de la finale de la coupe du monde de Football.

— Bonjour, Monsieur, on s’occupe de vous ?
— Ben non, pas encore.
— Vous avez déjà un compte chez nous, Monsieur ?
— Ben oui, c’est pour ça que je viens vous voir.
— Parfait ! Veuillez me suivre, s’il vous plaît.

« Parfait », ça veut dire : « Chouette, je vais pouvoir lui faire changer de forfait, lui vendre le tout dernier a priori moins cher qui fait dépenser plus, et j’aurai ma commission mensuelle parce que j’ai réussi à lui faire signer un nouvel engagement de vingt-quatre mois ».

On se retrouve sur une sorte de bar américain, assis sur de hauts tabourets inconfortables assez larges pour y poser la moitié d’une fesse et dont les rebords ont été savamment étudiés pour qu’au moindre geste d’hésitation, le client non averti se mette à glisser désagréablement. Ainsi, le client est en position de faiblesse car le conseiller « clientèle » est un professionnel : il ne glisse pas, lui ! Le gars tapote sur un ordinateur relié à Internet. En quelques questions, il a trouvé l’historique de mes changements de forfaits, et une fenêtre surgit pour attirer son attention sur les produits qu’il devra me proposer, présélectionnés par un moteur de recherche.

— Alors, qu’est-ce qui vous amène ?
— Je voudrais savoir comment retrouver le numéro d’appel d’un téléphone portable.
— Vous avez oublié le numéro de votre téléphone ?
— En quelque sorte.
— Vous n’avez qu’à regarder votre contrat. Votre numéro de téléphone correspond à votre numéro de client.
— Et si je n’ai pas de contrat ?
— Et bien, si vous n’avez pas de contrat, il y a deux options : soit vous l’avez perdu, auquel cas il suffit d’en demander un duplicata à votre service client, ce qui vous coûtera vingt euros, je crois ; soit vous avez volé ce téléphone, auquel cas je suis obligé de vous signaler auprès des services de police en composant le numéro vert d’appel d’urgence.
— Euh… j’ai dû le perdre, le contrat. Pas de panique.
— Dans ce cas, il vous suffit d’appeler votre service client. Voulez-vous que je vous donne le tarif exact du service ? Aviez-vous souscrit une assurance « forfait perdu » qui vous exonère des frais d’agence en cas de perte, de vol et d’accident domestique.
— D’accident domestique ?
— Oui, si l’un de vos enfants laisse tomber votre téléphone dans une casserole bouillante, c’est un accident domestique. Si vous écrasez votre téléphone avec votre voiture aussi, c’est aussi un accident domestique.
— Ah ben, je crois pas avoir ça, non.
— Dommage, car pour seulement deux euros par mois, vous pouvez contracter toutes sortes d’assurances bien utiles. Il y en a forcément une qui correspond à votre situation, et…
— …Et si j’appelle l’agence, ils ne me donneront pas le numéro ?
— Le service client adressera le duplicata au nom et à l’adresse indiquée sur le contrat. Comment voulez-vous qu’ils sachent que vous êtes le titulaire du compte, sinon ?
— Bien-sûr. Et vous, vous ne pouvez pas me le donner, mon numéro de téléphone ?
— Je peux vous donner une série de renseignements qui vous aideront à le retrouver, mais le service client, seul service habilité à conserver le contrat des clients, n’est accessible que par téléphone.
— Bien-sûr. Le problème, c’est que je ne connais pas vraiment le numéro du service client de ce téléphone.
— « Ce » téléphone, il est à vous, n’est-ce pas ?
— Euh… en quelque sorte. Mais il ne m’appartient pas vraiment.
— Si ce téléphone est en votre possession alors qu’il ne vous appartient pas, c’est que vous l’avez volé, Monsieur et là, je vais être obligé de vous signaler auprès des services de police en composant le numéro vert d’appel d’urgence.
— C’est pas la peine, je vais y aller.
— Je…
— Merci, Monsieur, à bientôt.

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