Chapitre 12 – Aziz

Ma chère Mathilde,

Depuis notre sublime rencontre à Paris, je ne pense plus qu’à toi. Je nous revois encore, parcourant tes endroits préférés, main dans la main. Tout semblait si essentiel. Et puis cette pluie battante qui nous a fait tant rire, ton parapluie “farine Brigault, la farine sans grumeaux”, cet objet inutile tellement il était plus facile à retourner qu’à ouvrir, nous obligeant à nous réfugier sous les ponts avec les clodos. Je me souviens encore de ce discours idéaliste que nous avons entamé en voyant la misère sous nos yeux. Nous voulions nous lancer dans l’humanitaire pour contrer cette politique désastreuse, nous voulions partager nos idées avec le plus grand nombre de pays, le plus grand nombre de populations, nous voulions rencontrer des personnes fascinantes, quitter notre train-train quotidien qui nous conduisait inéluctablement sur le chemin de nos parents. Toi, et la boulangerie de ta mère. Moi, et le garage de mon père. En partageant nos histoires, nous nous sommes tous les deux sentis bloqués, nous avons tous les deux traduit l’ignorance de nos parents, nous avons, ensemble, senti combien il devenait urgent de nous exprimer, autrement, ailleurs, sans eux. Nous devions nous retrouver au plus vite pour rattraper ce temps qui nous avait trop longtemps échappé.

Et puis depuis, plus rien. Que nous est-il arrivé ? Pourquoi ces longs mois de silence ? Toute cette attente me semble disproportionnée par rapport aux projets urgents que nous avions élaborés. Je suppose qu’au lendemain de notre rencontre, nous sommes tous les deux retournés dans notre routine quotidienne, comme des aimants, nous sommes restés figés dans la lourde atmosphère familiale. De mon côté, j’ai cru que mon père avait lu dans mes pensées. Jamais il ne m’a autant sollicité qu’à mon retour de France, jamais je n’ai eu autant de travail, de classement, de rangement, de nettoyage, autant de voitures à aller chercher de l’autre côté de la ville. Toute cette médiocrité que nous avions dénoncée m’a rongé jusqu’au bout, jusqu’à ce que je craque, que je claque la porte, que je crache à mes parents ce qu’ils ne voulaient pas voir. Je leur ai tout dit. Tout. Tout ce que je pensais d’eux et de leur vie, tout ce que je pensais de leur travail, de leur soi-disant couple. Je leur ai dit que je n’en pouvais plus d’être exploité comme ça, que je voulais partir au fin fond de l’Afrique avec toi, Mathilde. Et puis je suis parti. J’ai retrouvé mon cousin à Marrakech, et il m’héberge gratuitement. J’ai enfin pu prendre du recul, et revenir à nos projets.

Et toi, que s’est-il passé chez toi ? Nous avions mis en place une stratégie simple : tu m’as demandé de ne pas t’appeler à cause de ton imbécile de père, tu m’as demandé de te faire confiance, et tu m’as promis de me rejoindre au plus tard au mois de décembre, pendant les vacances de Noël. Aujourd’hui, on est en avril, et je n’ai toujours pas de nouvelles.

D’abord, j’ai appris la patience, ce qui m’a permis de tenir quelques semaines. Il suffisait d’un souvenir pour me donner du courage. J’en ai profité pour faire le point avec mon histoire, avec mon passé, pour pouvoir te dire l’essentiel en une phrase et passer au plus vite à notre nouvelle vie. Pas besoin du passé, pas besoin des remords, rien que l’horizon, devant nous, et l’avenir à conquérir. Et puis, peu à peu, le doute s’est installé. Et si je m’étais trompé sur toi ? Et si j’avais coupé les ponts sans réfléchir aux conséquences stériles que ce geste de rébellion avait provoquées ? Et si, isolé dans une vie qui ne m’appartenait plus, après avoir été un acteur inconscient mais utile, j’étais devenu un utopiste qui passerait le reste de son temps à chercher l’impossible ? Je n’ai pas eu envie de me laisser porter par l’illusion, et tout en respectant notre premier contrat, j’ai souhaité avoir quelques éléments de réponse.

Alors, je suis allé consulter une voyante. Pardonne-moi, Mathilde, je sais que ce n’est pas raisonnable et que tu souriras d’apprendre que ton fidèle Aziz s’est laissé prendre dans le tourbillon de la superstition comme on gratte un jeu de hasard dans l’espoir de devenir millionnaire. Et tu auras raison. Je ne sais pas ce que ces vieilles ont emmagasiné dans leur chapeau pour pouvoir ressortir des vérités si précises. Elle m’a tout dit sur mon enfance, sur mon malaise, sur ma fugue, elle m’a parlé d’un récent voyage qui avait tout bouleversé dans ma vie, elle m’a parlé de l’artisan, de l’ouvrier, du pain et des voitures. Nous étions partout dans ses paroles, et du coup, ce qu’elle a pu me dire sur l’avenir a pris une ampleur démesurée qui m’oblige à t’écrire aujourd’hui.

Elle m’a parlé de toi. Elle avait l’air gênée, comme si elle ne voulait pas me dire l’essentiel. Elle m’a dit que tu t’étais éparpillée, que ton cœur ne battait plus comme avant, que ta tête avait pris une orientation différente que ce que tes pas te dictaient, que ton histoire t’avait dispersée dans un monde sombre et froid, comme si tu avais mis tous tes projets dans une grande poubelle vide. Je ne sais pas comment je dois interpréter toutes ces images. Une seule certitude m’habite : je sais que, si j’interviens aujourd’hui dans ta vie, il n’est peut-être pas trop tard pour te retrouver telle que tu étais.

Je t’écris pour cela, Mathilde, pour savoir, pour comprendre. Donne-moi la clé qui ouvrira mon avenir, avec ou sans toi. Je ne pourrai pas t’attendre sans sombrer dans la folie. Il suffira d’un mot de toi pour que je sache enfin si je dois ouvrir notre livre de bord, et si je dois tout de suite y inscrire le mot FIN.

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Chapitre 11 – Damien

Pipi, caca. Y a “prout” aussi. Ils aiment bien, “prout”, ça les fait rire. Je dois être dans le service caricatural qui a servi à formuler toutes les blagues sur les débiles mentaux. Je dis “ah, gah”, et ils se marrent pendant deux heures. Oh, pas besoin de télé, ici. Je passe toutes les deux heures, “ah, gah”, et ça suffit. Quand je pense qu’il y a même des clowns qui viennent vendre leurs services pour amuser un peu les pipi-cacas. C’est comme ça que je les appelle, les débiles mentaux, les “pipi-cacas”. Les ministres, ils trouvent toutes sortes de mots nouveaux pour désigner les personnes différentes. On a les “hommes de couleur”, les “malvoyants”, les “femmes de service”, les “techniciens de surface”, et pour les débiles mentaux, y a quoi ? Pipi-cacas, ils aiment bien, ils sont contents. Les clowns, l’autre jour, ils voulaient faire une séance avec les pipi-cacas. Pas besoin, que je leur ai dit, pas besoin de dépenser l’argent du contribuable avec des actions culturelles dans les milieux hospitaliers de ce genre, il vaut mieux acheter du coca. C’est vrai, quoi.

Je me souviens quand j’étais étudiant. J’étais chargé d’idéal, je lisais les bouquins des psychiatres américains. Je m’étais dit que je ferais du social tout le temps, pour aider les gens à supporter leur faiblesse. J’avais même fait une thèse sur la réinsertion des personnes lourdement handicapées du bocal. Sur le papier, c’était beau. On faisait des voyages pour aller voir la mer, on allait aux spectacles de l’opéra de Paris, on faisait des ateliers de peinture, on achetait des cartes postales pour faire des dessins dessus. Ouais, c’était beau, sur le papier. Les pouvoirs publics s’intéressaient à notre noble cause, ils nous construisaient des locaux, les enfants des écoles venaient nous voir, on passait à la télé avec Jean-Luc Delarue. Tout ça, quoi.

Tu parles ! Ils s’en foutent, les pouvoirs publics. Dès le premier jour, quand j’ai été affecté ici, j’ai cru que les collègues, ils allaient mourir de rire quand je leur ai présenté ma thèse. Ils étaient hystériques. Et quand je leur ai dit que je voulais faire un groupe pilote pour faire certaines expériences de prise en charge, ils m’ont dit : “Va les chercher, tes pilotes, va les chercher ! Va les choisir dans le secteur 6B, tu verras, tu s’ras pas déçu”. Alors, je suis allé au secteur 6B. Je suis resté quelques heures à observer les patients. Et puis, j’ai commencé à leur parler, à leur chanter des chansons, à taper dans les mains, à leur montrer des photos de bateaux. Et les autres qui se marraient, derrière la porte. J’ai essayé d’en prendre un par le bras, je l’ai emmené au milieu de la pièce. Je lui ai montré des pas de danse, il m’a regardé. Si, si, je suis sûr qu’il me regardait. Et puis, il s’est effondré. De tout son poids. Par terre. Il est resté comme ça pendant quelques secondes, et puis il s’est mis à tourner en rond en hurlant, et les autres patients, ils se sont mis à hurler, et à faire pipi partout. Devant ma panique, les collègues sont venus m’aider. J’ai été obligé de nettoyer chaque patient un à un. Ben quoi ?

Et puis voilà. Le boulot, la routine, les heures de garde, l’anniversaire des collègues, les vœux du chef de service, bref, on voit pas le temps passer. On prend des petites habitudes, on apprend à vivre au rythme des malades, on rigole avec les potes pour se détendre. Y en a toujours un qui raconte des histoires rigolotes sur les malades. Et puis on oublie les expériences, on fait moins d’effort, on sent que si l’équipe toute entière ne s’y met pas, ça sert pas à grand chose, alors, on suit le mouvement, on allonge les pauses clopes, on boit du coca, on finit par trouver le temps long, on pense aux vacances, aux primes, on se fait syndiquer, on fait grève, on n’est jamais content, on râle qu’il n’y a pas assez de sous, on se couche tard, on boit de la bière, on retrouve les malades, et on remarque qu’avec des mots simples, les malades, ils réagissent un peu. Pipi, caca. Et puis “Prout”. Normal, quoi.

Remarque, y en a qui sont sympa, dans les pipi-cacas. Celui-là, il était instituteur. Dans sa classe, les élèves avaient trouvé un jeu très drôle, qui consistait à changer de place dès qu’il avait le dos tourné vers le tableau. Discrètement, deux par deux, les élèves s’intervertissaient. Comme ça, ça faisait pas de bruit, et ça ne se voyait pas trop. À la fin de chaque journée, les élèves avaient occupé toutes les places. À chaque fois que l’instituteur se retournait, il avait face à lui une disposition différente de la classe. Quand il demandait le nom des élèves, ils répondaient n’importe quoi. Il a jamais réussi à comprendre leur stratagème. Et le prof, il a cru qu’il avait un problème de mémoire. Impossible de retenir un prénom, de visualiser un visage, de mettre une note. Il a craqué. Maintenant, il reste contre le mur, il bouge plus, il regarde tout le monde, il compte ses camarades, les interpelle avec tous les prénoms du monde entier. Quand les infirmières cherchent un prénom pour leur futur enfant, elles viennent ici. C’est pratique, quoi.

Celui-là, il était politicien. Il avait une obsession dans sa vie de maire, c’était les bilans. À chaque fois qu’il se passait un truc dans sa mairie, il faisait des bilans. Une rencontre avec un conseiller municipal, un bilan. Un coup de fil de la préfecture, un bilan. Une demande de congés à signer, un bilan. Tous les bilans étaient soigneusement écrits, soigneusement numérotés, soigneusement archivés. La mairie avait des étages entiers de paperasse inutile qui n’intéressait que lui. Il les relisait tous les étés, pendant que tout le monde était en vacances, et il faisait des bilans de bilans, des bilans de bilans de bilans, et des bilans de bilans de bilans de bilans, et puis, un jour, tout a brûlé, sous ses yeux. Avec tous ces papiers, la mairie a dû brûler en moins de dix minutes. Il a craqué. Maintenant, il est avec nous. Grâce à lui, on sait ce qui s’est passé pendant toute la journée, et on peut faire des pauses plus longues. Il est utile, quoi.

Et puis, il y a Yvonne. Elle, c’est un mystère. On l’a trouvée sur le trottoir, en train de manger des religieuses en chocolat. Elle n’a jamais parlé. Impossible de connaître quoi que ce soit sur elle. On sait même pas son vrai nom. Alors, on lui en a donné un : Yvonne. Ce qui est amusant, c’est qu’elle ne réagit qu’à une seule chose : quand on l’emmène dans le réfectoire et que la cuisinière arrive avec les casseroles, elle se planque sous la table. Elle ne fait ça qu’avec les casseroles. Avec les poêles, pas de réaction. Ici, on pense qu’elle a dû être cuisinière. Ou un truc comme ça, quoi.

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Chapitre 10 – Olivier 4

ACTION !

Ah, ah ! Ca fait tout drôle de voir son petit client habituel, celui qui dit toujours “Bonjour” poliment, celui qui vient toujours avant huit heures pour éviter la foule, celui qui prend toujours une baguette “normale”, qui s’est jamais intéressé à tes spécialités “maison”. Hein ? Ça fait drôle de le voir débarquer dès que tu ouvres la porte de la boulangerie alors que t’as encore la gueule enfarinée. Ah, ah ! La gueule enfarinée pour une boulangère, c’est le pied ! Et hop, que j’te pousse au fond du magasin. Pas le temps d’appeler à l’aide. Clouée sur place, la boulangère. Ah, ah ! Ça fait drôle, de se voir menacée par un type outillé d’un seul objet : une casserole. C’est pratique une casserole. D’un côté, ça peut servir de récipient pour recevoir toute sorte d’objet envoyé par l’ennemi. De l’autre, c’est plat. Idéal pour frapper. Quoi ? T’as l’air étonnée ? Qu’est-ce que tu pensais ? Que le contrôleur il allait pas faire son enquête personnelle ? Que j’allais te laisser faire du chantage à un pauvre père de famille qui s’est offert une partie de jambes en l’air avec une fraîche demoiselle ? JALOUSE ! Ils sont où, les sous ? Laisse-moi chercher. Allez, pousse-toi.

“Mais, Monsieur, laissez-moi, je vous en supplie. Ma fille a été assassinée, mon mari s’est suicidé, je suis en deuil, laissez-moi tranquille. Prenez la caisse, si vous voulez.”

Corruption. Méthode classique. Et vas-y que j’essaie de t’amadouer avec la famille. C’est trop gros ton histoire, j’y crois pas. Comme si c’était l’argent de la caisse qui m’intéressait. C’est la cagnotte que je veux voir. Tu me prends pour un con, ou quoi ? Ey ! Je suis pas né de la dernière pluie. Les placards : vides. Les coffres à bijoux : vides ! Et les fausses factures ! Hein ? Et le coup de fil anonyme ? Il était mort, le coup de fil anonyme ? MENTEUSE ! Paf ! Et hop ! Un coup de casserole. Je suis tranquille pour quelques minutes.

Petit tour rapide des locaux. Sous le four. Rien. Sur l’étagère, derrière le radiocassette pourri. Rien. Dans les bonbons. Rien. Dans la farine. Rien. Allez, hop, à l’étage. Chambre. Sous le lit. Rien. Dans les armoires. Rien. Dans le placard des chiottes. Rien. La chambre de Mathilde. Rien. Ah, ah ! J’en étais sûr ! Toutes les petites affaires sont rangées. Prête à partir ! Putain, où sont les sous, où sont les sous !

“Monsieur, je…”

Aaaaaah ! La boulangère ! Elle est coriace, dites donc ! Redescends ! J’en ai pas fini avec toi. Allez, oust ! File dans ta boutique !

“Monsieur, je vais appeler la police !”

Non mais, c’est qu’elle me menacerait, la boulangère. Vas-y que je te l’attrape par les cheveux et que je te la traîne dans sa boutique. Hystérique, va ! Les femmes, c’est toujours pareil, dès que tu les attrapes par les cheveux, elles se roulent par terre, elle crie comme des sauvages. Tant pis pour toi, tu aurais pu rester digne, je te traînerai jusqu’en bas par les pieds. Bing, paf, paf ! Et hop, la tête qui rebondit sur les marches de l’escalier. Pose-toi là, et bouge plus !

“Je… je…”

C’est ça, je quoi ? Je m’excuse pour les fonds publics que j’ai détournés ? Je demande pardon au petit inspecteur que j’ai pris pour un con en essayant de faire des fausses factures ? Je vais tout vous expliquer sur le chantage que j’ai fait au pauvre père de famille ? Je quoi ? Il en a marre, l’inspecteur, d’être obligé de faire des formations avec le service des douanes pour déceler les crapules de ton genre. Il en a marre de se lever plus tôt parce que t’es pas capable de faire suffisamment de pain pour tout le monde. Il en a marre de voir défiler les propriétaires, de les voir s’engraisser sur le dos des clients et de les voir partir après. Vous êtes pires que les garagistes, parce que, en plus, vous êtes aimables ! Vous affichez toutes les petites annonces sur la caisse enregistreuse, vous affichez les fêtes de quartier, les rencontres paroissiales. Tout le monde vous confie ses petits secrets et après, c’est le chantage ! Tu devais payer pour tous les autres. Tu devais être l’exemple monstrueux que le canard local aurait pris en une de ses faits divers. “La boulangère qui faisait du chantage auprès des habitants du quartier vient de se faire épingler par le fisc”. Grâce à ce gros coup, j’aurais eu ma promotion, à l’heure qu’il est je serais ministre des finances. Mais non, rien ! J’ai rien trouvé ! Rien d’illégal, rien de suspect. Les comptes tenus au centime près, pas d’épargne, pas de maison de campagne, pas de voiture de luxe, pas de stage de voile, pas de soins esthétiques. Rien ! Y avait même un surendettement à la banque ! Non mais, je rêve. Ils sont où les sous ?

“LAISSEZ-MOI TRANQUILLE !”

Ah, ah, je m’en doutais. Elle attaque avec les religieuses. Hop ! Dans la casserole. Tarte aux fraises, pains au chocolat, sacs en plastique. Hop, hop, hop. Retour à l’envoyeur ! Ah, ah, ah ! C’est qu’elle a pas de casserole, la boulangère. Elle est douée avec les comptes, mais elle a pas de casserole. Et hop ! Dans la tête, les religieuses. Ah, ah ! Tu fais plus la même tête, hein ? Tu crois que je vais pas riposter ? Hop, hop, hop ! Sucettes, chocolats de pâques, peluches dans la vitrine. Dans la tête ! Et ça, là, ce machin à vieilles pour mettre les parapluies mouillés, ce machin dans lequel j’ai toujours eu envie de cracher mon chewing-gum. Hop ! Dans la tête ! PAF ! PAF ! PAF ! VIVE LES CASSEROLES !

C’est ça, pleure ! C’est toute ta faiblesse qui remonte, tous les remords, toute la honte. Regarde comme tu es belle, avec du chocolat partout. Bah, allez, tu me dégoûtes. J’me casse. Démerde-toi avec ta conscience ! Je crois qu’elle va être fermée un bon bout de temps, la boulangerie, et pour une fois, t’auras une bonne raison.

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Chapitre 9 – Émile

Dans la vie d’un conducteur de métro, il y a deux temps : un temps noir, celui du tunnel, et un temps éclairé, celui des stations. Un temps pendant lequel le train accélère, les lumières défilent, les rouges, les jaunes, les indicateurs de vitesse qui nous font croire que les conducteurs agissent encore sur les machines automatiques. Et puis c’est la station, un temps pendant lequel le train ralentit, où les petites lumières se sont transformées en clients au bord du gouffre qui sont prêts à sauter dans leur voiture habituelle, celle qui est juste en face de leur correspondance. Plutôt que de voyager tranquillement, les usagers du métro préfèrent s’entasser dans la voiture qui leur assure un trajet minutieusement calculé pour ne pas dépasser dix-sept secondes entre le temps où le train s’arrête et le moment où ils atteignent le couloir de leur correspondance. Comme si une sorte de honte s’abattait sur eux quand leur temps d’errance dans une station dépasse les dix-sept secondes. Au-delà, ça fait provincial. Après une minute, ça fait touriste allemand qui cherche la place de la Concorde. En dépassant le quart d’heure, on est dans la catégorie des roumains-musiciens qui attendent le prochain métro parce que y avait déjà un vendeur de journaux dans le précédent. Enfin, l’ultime limite à ne pas dépasser : la demi journée ! Là, on est assuré d’être un clodo, rien de mieux. Le temps passé dans le métro est un signe extérieur de pauvreté. D’ailleurs, quand on est vraiment riche, on n’y descend pas, dans le métro, on voyage en taxi ou on a une belle voiture noire avec un chauffeur blanc.

Avec ce métier, je suis condamné à ne rencontrer que des pauvres. Même ceux qui portent une cravate, je sais qu’ils sont pauvres. Aucune chance de rencontrer un ministre ou un PDG, aucune chance de voir la présentatrice de la météo, Miss France ou Yvette Horner. Ici, les journées défilent au rythme des stations. Biip. Signal sonore. Fermeture des portes. Vérification hâtive qu’il n’y a pas une jambe qui dépasse. Accélération. Noir. Petites lumières qui défilent. Vieilles publicités dans les couloirs. Ralenti. Lumière. Usagers sur le quai. Nouvelles publicités sur les panneaux géants. Ouverture des portes. Cohue des gens qui montent et qui poussent les gens qui descendent. Biip. Signal sonore.

Dans les fêtes de famille, on m’envie de vivre parmi les gens, de connaître les heures de pointe par cœur, on me demande toujours quel est le trajet le plus court pour aller de la porte de Pantin à Saint Sulpice. Et puis, la série des anecdotes, parce que, c’est bien connu, je dois bien avoir une série d’anecdotes croustillantes à leur raconter. Bien-sûr, comme si la vie des gens dans le métro était si passionnante… Ben quoi ? Je leur dis, que le clodo, quand y a personne, il se pisse dessus sur les bancs, et que les bancs ne sont jamais nettoyés avant l’heure de pointe ? Hein ? Et qu’en dehors des rats, il n’y a rien de si particulier à découvrir dans les couloirs ? Hein ? Et que les CRS du métro, quand ils tabassent un jeune beur qui vendait des tickets à la sauvette, y a personne qui se retourne ? Hein ? Et qu’à force de voir des gens sur le bord du quai, je me prends à rêver qu’ils sautent tous en même temps ? Hein ? Et que des fois, j’ai envie de péter les plombs, d’accélérer alors que les portes ne sont pas encore fermées, ou encore d’aller dans les couloirs réservés du RER pour m’emplafonner dans le train à deux étages, ou encore d’aller débrancher la voix de cette hystérique de machine qui hurle “GARE DE LYON” en cinq langues dans le nouveau métro automatique ? Hein ? Je leur dis quoi, à la famille ?

J’essaie de faire bonne figure. Je leur invente des histoires, comme ces clowns acrobates qui passaient d’un quai à l’autre avec un canon, ou en leur disant que c’est toujours moi qu’on choisit pour tourner les cascades de films où le méchant se réfugie dans le métro, poursuivi par un flic, ou encore cette histoire abracadabrante où je m’étais retrouvé sur les anciennes lignes de train, passant dans des stations désaffectées où il y avait des squelettes de clodos éparpillés au milieu des rats. Ouais, ils aiment bien cette histoire.

Tu parles ! Jour, nuit, jour, nuit, accélérer, ralentir, ouvrir les portes, fermer les portes, jour, nuit, signal sonore, Porte d’Orléans, ne gênez pas les fermetures des portes. Qu’est-ce qu’il y a d’excitant dans tout ça, hein ?

Rien, strictement rien. Le métro est un monde bithématique, jour, nuit, couloir, station, conducteurs, usagers. Point. Il n’y a que les “accidents graves de voyageur” qui excitent un peu les usagers. “Accident grave de voyageur”, c’est comme ça que la direction a choisi de définir les suicides. À chaque fois qu’il y a un incident de ce type, les usagers se mettent à râler encore plus que pendant les grèves. En fait, ils ne râlent pas parce que le trafic est interrompu, ils râlent parce qu’ils n’étaient pas aux premières loges. Voir le type qui saute, le voir se fracasser sur les rails, pour savoir une bonne fois pour toute si le type se fait électrocuter avant de se faire percuter par le train, pour savoir une bonne fois pour toute si les membres sont déchiquetés, si le type a encore les yeux ouverts, si quelqu’un nettoie les voies avant de relancer le trafic. C’est pourtant pas difficile de se suicider sans gêner personne, il suffit d’avaler une bouteille d’eau de javel dans sa salle de bain et la vie s’arrête toute seule. Mais non, les types qui se suicident, ils veulent toujours faire leur ultime spectacle, sauter de la tour Eiffel ou sauter quand le métro arrive en station, c’est plus amusant.

Comme ce type, l’autre jour, ce gras du bide ruisselant de sueur, avec une blouse blanche. Il était complètement enfariné. Je l’ai vu tout de suite en entrant dans la station. Il gesticulait dans tous les sens, il hurlait “Irène, pardonne-moi, Irène” et puis il s’est jeté sous mon train. Y en avait partout, de la farine. Depuis, impossible d’avaler une religieuse au chocolat.

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Chapitre 8 – Marcel

Le facteur, c’est un véritable petit espion. Il sait qui déménage, qui reçoit “30 millions d’amis”, qui reçoit soixante-quinze lettres de vœux par an. Une petite enveloppe encadrée de gris, et il sait qu’il y a un mort dans la famille Rougeon. Une carte postale, et il sait où votre neveu passe ses vacances, il connaît la date de votre anniversaire, il sait que vous avez une tante Martine, un chien qui s’appelle Pupuce. Après, il y a le courrier recommandé. Une véritable aubaine ! Si le destinataire est sur les lieux, facile, il suffit de monter pour tout savoir. Le gars ouvre la porte, s’étonne de recevoir un recommandé, l’ouvre, sans se méfier, sous les yeux ébahis du facteur qui hurle, dans son for intérieur : j’en étais sûr, c’est sa banque ! Interdit bancaire. Si c’est l’agence immobilière, c’est l’expulsion dans les trois prochains mois. Si le gars n’est pas là, le courrier repart au bureau de poste. Vous pouvez être sûr que le facteur a essayé, par n’importe quel moyen, de voir ce que le courrier contenait. Mais bon, ça, c’est la routine. Parce qu’il n’y a pas que le courrier, dans la vie d’un facteur ! Il passe dans vos rues, longe vos murs, traversent vos cours, il sait quand la fourrière est passée pour emmener la twingo violette de la vieille du 35, il sait quand le trottoir est nettoyé, qui est le vilain riverain qui promène son chien dans la rue Ménard, il sait tout ! Enfin, tout ce qui se passe pendant son temps de travail. Faut pas pousser, quand-même !

Après le facteur, la course des petits espions continue, et le témoin passe entre toutes les mains : le balayeur, le jardinier municipal, le SDF qui vend des journaux, l’agent piétonnier qui fait traverser les enfants à midi, les conducteurs de bus et toute une série de petit personnel qui, si on lui demande, peut faire des rapports circonstanciés sur l’activité de quartiers tout entiers. Vous remarquerez que toutes ces personnes sont savamment disposées dans la rue. Certaines ont des positions fixes, au milieu des carrefours, d’autres ont des itinéraires réguliers. Mais vous ne les voyez jamais toutes ensemble.

Jamais.

Moi, j’arrive en dernier sur la liste. C’est juste à cause de mes horaires. Avant, je travaillais le matin, très tôt, et j’intervenais bien avant le facteur, mais il paraît qu’à sept heures, on dérangeait tout le monde. Alors, on nous a mis le soir. M’en fous, comme je travaille après vingt heures, j’ai des suppléments “horaires de nuit”. Et puis, je préfère le soir, on fait des bilans. C’est bien, les bilans.

Je ramasse les ordures ménagères depuis plus de quinze ans. Oh, le travail a bien évolué, même si notre objectif principal est resté le même : faire disparaître vos déchets. Votre caca, il passe dans les tuyaux, votre vaisselle sale s’essore dans les égouts, mais vos mouchoirs pleins de microbes, les couches de vos enfants, les restes d’omelettes et de cassoulets, les cendriers et tous les trucs qui puent, ils passent entre mes mains. Un sac qui tombe par terre, et c’est la moitié de votre semaine que je vois défiler sous mes yeux. Je sais que le pot au feu de la belle mère est passé à la trappe, que le poisson du vendredi était dégueux, que le petit a la diarrhée. Ouais, d’accord, y a des trucs qui ne sentent pas comme les papiers, les enveloppes, les catalogues de cul, les bouteilles d’eau, mais ces ordures-là, elles sont recyclées et moi, je m’en occupe pas. Je ne m’occupe que des trucs crades.

Je ne sais pas vraiment ce qu’il avait de si particulier, ce container, pour alerter ainsi mon attention routinière. Son poids ? Bof, depuis qu’il y a des roulettes, je ne m’intéresse plus vraiment au poids des containers. Peut-être sa position sur le trottoir. Ouais, c’est sûrement ça. Petit espion que je suis, je sais que les gardiens disposent LEUR container toujours au même endroit, tous les jours. Même quand on leur dit de ne pas le mettre si près du caniveau, il le mette, c’est comme ça. Ils font comme les chiens, ils marquent leur territoire. Ce soir-là, un container légèrement trop à droite, bien fermé alors que, d’habitude, il déborde, c’était assez pour intriguer ma curiosité. Alors, je l’ai ouvert, et puis je l’ai fouillé.

Quelle horreur !

Des paquets bien ficelés, sanguinolents, de différentes tailles. D’abord, la joie de découvrir quelque chose. Puis l’inspection immédiate de mon odorat expert. Odeur peu familière, se rapprochant à la fois du boucher et de la résidence de personnes âgées. Rien de plus. Ensuite, le poids. Le premier paquet était assez lourd, je l’ai posé sur le trottoir. Le deuxième était tout rond, et tout dur. J’ai pas mis longtemps à comprendre que les deux paquets un peu plus longs, cachés au fond, c’était des jambes, que les quatre petits paquets, c’était des pieds et des mains, et que le paquet rond que je venais de poser sur le banc, AAAAAAAAh, c’était la tête ! Souffle, Marcel, souffle ! Restait plus que le torse. AAAAAAAAh ! Un torse, une tête, des pieds, des mains, des jambes !!!!! Mais, mais… Souffle Marcel, n’y pense plus, c’est fini. Mais où sont les bras, où sont les bras !!!! J’ai retourné le container. Il a bien été vidé. Il n’y avait rien d’autre dedans. Pas de bras. C’est affreux, on a assassiné un homme tronc.

J’ai pris l’initiative de décortiquer un des paquets pour savoir à qui appartenaient ces bouts de corps, pour prévenir la police. Le corps était encore habillé, il y avait une veste autour du torse, et un portefeuille. AAAAAAAh ! C’est dégoûtant. Le serial killer a agrafé des petits bouts de papiers sur le torse. “Tobby, je t’aime”. Y en avait au moins cinquante. M’enfin ! j’ai quand-même retrouvé les bras, ils étaient avec le torse. Beurk ! J’ai fouillé dans les poches. Carte d’identité.

Oh… C’était une fille… Mathilde.

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Chapitre 7 – Olivier 3

Ce qui est bien quand on est contrôleur fiscal, c’est qu’il n’y a jamais de hasard. Quand votre instinct vous conduit à douter de l’honnêteté d’un contribuable, c’est que vous avez perçu des signes précurseurs, des sortes de petits indices outrageants pour le fonctionnaire que je suis. On dirait que ça passe inaperçu comme ça mais, en fait, ça se voit comme le nez au milieu du visage. Chez nous, ça porte un nom : l’expérience. Du coup, quand j’organise une petite pré-enquête pour prendre les fautifs la main dans le sac, je ne me trompe jamais. Inutile de lancer des contrôles fiscaux en tirant au sort. Avec cette méthode, quatre coups sur cinq, on tombe sur des gens honnêtes. Mieux vaut un coup de maître qui rapporte beaucoup d’argent, que plein de petits coups. C’est que ça coûte cher, une procédure d’inspection. Il faut être sûr, avant de commencer, que le redressement fiscal remboursera les frais engagés. J’ai appris ça au stage que j’ai suivi auprès du service des douanes. Eux, ils s’en foutent des petits dealers qui trafiquent à Barbès, ils s’en foutent du barman qui vend des cigarettes aux clients, ils s’en foutent des mecs qui remplacent les étiquettes de jeans pour vendre leurs fringues pourries à des prix exorbitants. Ce qui leur faut, aux douaniers, c’est un super-coup, plusieurs tonnes de drogue, des milliers de cartouches de cigarettes. Le must, c’est quand ils trouvent des immigrés entassés dans des camions réfrigérés. Là, ils sont contents.

La différence entre le service des douanes et moi, c’est qu’au service des douanes, ils sont tout plein de fonctionnaires qui suspectent, enquêtent, prennent en flagrant délit, emprisonnent, et que moi, je suis tout seul. Seul face à l’immensité anonyme des contribuables supposés honnêtes. Ah ! Foutu concept que la présomption d’innocence. Si je suppose que tout le monde est innocent, autant mettre la clé sous la porte ! Pour un contrôleur fiscal, tout le monde est potentiellement coupable, tout le monde grappille quelques euros par-ci, par-là. Accepter un chèque comme cadeau d’anniversaire : COUPABLE ! Passer l’achat d’un ordinateur sur ses frais réels : COUPABLE ! Arrondir le nombre de kilomètres qui séparent son domicile de son lieu de travail : COUPABLE ! Faire des ratures dans la case AJ pour obliger l’administration à réfléchir, puis à renvoyer le bulletin avec une note dûment signée, créant ainsi un retard d’au moins quinze jours : SUPER COUPABLE !!!

Avant de me lancer dans les grandes affaires, je me suis entraîné sur des personnes de mon entourage. Il me fallait une méthode infaillible. C’est pas tout de lancer une procédure, il faut ensuite assumer les justifications foireuses des coupables qui nous renvoient toujours la faute sur le dos. “Vos documents ne sont pas clairs” et “J’ai toujours déclaré le moindre centime, et aujourd’hui, vous me contrôlez pour trois euros”. MENTEUR ! Ensuite, un rapport de force s’installe. Les pleurs, les propos vulgaires et le chantage affectif : “Vous comprenez, c’est la télé que ma femme m’a achetée pour nos vingt ans de mariage !”

Redressement fiscal ! En général, ils en ont pour trois ou quatre ans. Et on nous demande de vérifier fréquemment tous les contribuables qui ont déjà fait l’objet d’un contrôle. Comme ça, on piste les récidivistes.

Pour améliorer ma méthode d’inspection, j’ai fait un petit carnet, avec toutes mes enquêtes. Je le relis de temps en temps, comme on feuillette un album photo. Mon enquête préférée, c’est la première. La cible : mon cousin Bernard. Petite crapule qui se la jouait bêtement dans les fêtes de famille. Un jour, je me suis glissé dans les conversations. Il était assureur. COUPABLE ! Trop fier de ses histoires, il racontait à tout le monde comment il faisait avec les voitures de ses clients. Belle technique ! Un jeune arrive, il prend l’assurance la moins chère, sans la clause contre le vol. Il laisse une copie de la carte grise et son adresse. Le cousin laisse passer le délai de rétractation, fouille le quartier, et pique la voiture. D’après lui, il vaut mieux que le vol ait lieu dès le premier mois d’assurance du client, ça fait plus “destin qui s’acharne”. En tant qu’assureur, ça ne lui coûte rien, parce que le jeune pauvre ne s’est pas assuré contre le vol. Ensuite, le jeune revient chez l’assureur, avec sa nouvelle voiture, et il signe la clause contre le vol, triplant ainsi sa prime d’assurance. J’étais sûr que le cousin, il se servait au passage. J’aurais pu le dénoncer à la commission de contrôle des assurances, voire à la police, pour vol. J’ai préféré le contrôle fiscal, et j’ai ordonné une enquête. COUPABLE !

Mon nom n’apparaît jamais dans les procédures. C’est plus pratique pour les enquêtes. Comme ça, j’ai pu tester une bonne série de personnes que je connaissais de près ou de loin. Mon quartier est truffé de contribuables inspectés. Voisines, commerçants, amis, famille, adjoint au maire, et cette hôtesse de l’air qui revenait de voyage les bras chargés de sacs. COUPABLES ! TOUS COUPABLES !

Cela fait bien plusieurs mois que j’observe la boulangère. Même si mes doutes grandissent de jour en jour, j’attends toujours que le détail me saute aux yeux avant d’agir. Alors elle, elle les enchaîne, les détails. D’abord, la fermeture de la boulangerie, et sa petite escapade pour aller chercher je ne sais quelle rente dans les immeubles voisins. Ensuite, j’ai bien l’impression que le personnel tourne beaucoup dans la boutique, ces derniers temps, ça sent le travail au noir, tout ça ! Enfin, pour couronner le tout : le coup de fil anonyme ! C’est un classique, le coup de fil anonyme. Parfois, j’enquête même sur les personnes qui appellent. Tout le monde est fiché. Ils croient tous qu’il suffit de ne pas dire son nom pour être anonyme, et ils appellent de chez eux ! Débutants ! C’est vraiment amusant d’arroser l’arroseur. Là, je crois que je vais laisser partir la petite Mathilde avec ses petites économies. Par contre, la mère, elle va subir le pire contrôle fiscal. Quand l’huissier fermera la boutique et que la boulangère me suppliera de lui laisser quelques sucettes pour sa nièce, alors, je serai rassasié.

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Chapitre 6 – Roger

TCHAC ! TCHAC ! Toutes les deux minutes dans ma tête. TCHAC ! TCHAC ! Couteau en l’air. Sang partout. TCHAC ! TCHAC ! Et la patte qui tombait, et ma mère qui pestait contre ce foutu temps qu’elle perdait à se baisser pour ramasser les bouts. TCHAC ! TCHAC ! “Pourquoi tu pleures, Roger, tu l’aimais bien, Tobby. Maintenant, on va en faire du pâté. C’est ça, la ferme. C’est ça, les vacances.”

C’est ça ! Merci pour les vacances : dans la cour de la ferme, y avait toujours un truc, pendu par les pieds, qui saignait encore. Je les voyais faire, parfois. Ils prenaient le lapin, lui attachaient les pattes, l’accrochaient sur un clou et TCHAC, un petit coup de couteau sous la gorge, et le lapin, il pissait tout son sang. Ils récoltaient le sang dans une petite coupelle pour faire du bouillon. Après, c’était de la couture, mais à l’envers. Ils enlevaient la peau du lapin, comme on enlève un pull-over. Un coup sec. TCHAC ! Et le lapin séchait tout l’après-midi. Avec la volaille, c’était autre chose. Pas besoin de les faire saigner. Par contre, fallait déplumer. Un coup sur la tête. TCHAC ! Et après, plume après plume, on déplume. Ces scènes de barbaries agricoles étaient tellement fréquentes, que tout le monde s’était habitué à voir crever les lapins, les coqs, les poules, les canards. Tout le monde s’était habitué à nourrir les petits poussins, à les voir grandir, à leur donner même des petits noms quand ils étaient rigolos et qu’ils entraient dans la maison, chassés à coup de pompes dans le cul par le grand-père, et puis tout le monde s’était habitué à les voir sécher dans la cour, à les voir cuire dans la marmite, et à les manger au dîner.

Tout le monde, même moi.

Par contre, un été, quelques jours après notre arrivée, j’ai vu débarquer Tobby. C’était pas souvent qu’il y avait des cochons à la ferme. Il était mignon comme tout. Il avait son petit enclos personnel. J’ai tout de suite eu beaucoup d’affection pour Tobby. D’ailleurs, c’est moi qui l’avais appelé comme ça. Tous les matins, j’allais avec lui faire le tour du village. Je lui avais concocté une petite laisse. On était devenu des copains. Plusieurs années de suite, j’ai réussi à passer des vacances agréables avec Tobby. Je suis sûr qu’il me reconnaissait. À chaque fois, il prenait au moins dix kilos. Et puis, je me souviens, c’était un dimanche, il y avait plein de monde à la ferme, c’était une grande fête de famille comme il y en avait parfois pour les anniversaires. Les hommes ont quitté la table, et les femmes ont commencé à préparer des plats, des conserves, des grosses marmites. J’ai d’abord pensé aux lapins, mais il y avait de quoi faire un civet pour tout le village avec toutes ces casseroles. Et puis, les cris. Horribles. La petite voix perçante que j’aimais tant. J’ai couru jusqu’à l’enclos de Tobby. Les hommes se jetaient sur lui, sautant dans sa merde, plongeant comme dans un match de rugby.

“Je l’tiens, ça y est ! Allez, frappe !”

L’horreur. Un coup de massue sur la tête. PAF ! Tobby… Un cri atroce. Un deuxième coup. PAF ! Tobby… Il bouge encore, bas-toi, Tobby ! Un troisième coup. PAF ! Il bouge plus.

“TOBBYYYYYYYYYY !!!!!”

Je crois bien que je me suis évanoui, parce que, après cette scène, j’étais dans ma chambre. TCHAC ! TCHAC ! Les femmes travaillaient dans la cuisine. Les hommes fumaient dans la cour. TCHAC ! TCHAC ! Ma mère découpait Tobby. “Donne-moi la patte, Sandra !” TCHAC ! TCHAC ! La cousine est dans le coup. Elle jouait avec moi, pourtant, on s’amusait bien avec Tobby, quand il vivait encore. TCHAC ! TCHAC ! Et la frangine de mon père, cette vieille peau, Mathilde, qui prenait un malin plaisir à fourrer ses deux mains dans les boyaux. “Ah, ah, ah, il va être extra, le boudin, cette année”. Boudin toi-même ! Je la déteste. Un jour, je la découperai, la frangine de mon père. TCHAC ! TCHAC ! Un bon boudin de tante !

Je crois que si j’ai choisi d’être routier, c’est pour fuir cette famille répugnante. Ne plus jamais les voir, surtout ma tante. Partir, et ne jamais revenir. Quand je roule, je vois défiler les kilomètres, j’ai l’impression de ne plus être sur la même planète qu’eux, même si je tourne en rond. TCHAC ! TCHAC ! Le bruit du moteur, ça couvre un peu les bruits de ma tête. Toutes les deux minutes. TCHAC ! TCHAC ! Je mets la radio à fond, je chante à tue-tête. Je dors mal. J’ouvre les fenêtres, sur le bord de l’autoroute, pour entendre les moteurs de camions. TCHAC ! TCHAC ! Rien à faire, alors, pour passer le temps, des fois, je prends un auto-stoppeur. On discute un peu. Les inconnus, c’est bien, ils ne savent rien, et puis on peut leur raconter n’importe quoi, ils s’en foutent.

Tiens, en voilà une.

“Montez, ma p’tite dame.
– Oh, merci beaucoup.
– Et vous allez où, comme ça ?
– À Marrakech !
– Oh, oh, c’est que je ne pourrai pas aller après Marseille, moi ! Je ne flotte pas encore ! Ah, ah, ah !
– Marseille ? C’est bien. Après, je verrai.
– Et votre petit nom, c’est quoi ?
– Mathilde.”

Mathilde. TCHAC ! TCHAC ! Mathilde. TCHAC ! TCHAC ! Mathilde. TCHAC ! TCHAC !

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Chapitre 5 – Mathilde

Qu’est-ce qu’elle m’agace avec son contrôle fiscal ! Depuis qu’elle est rentrée de son rendez-vous, elle ne parle plus que de ça. Il a fallu emmener les bijoux de grand-mère chez Tante Annie, reprendre les comptes de la boulangerie depuis dix ans, et virer les billets qui constituaient la cagnotte. Ah ! La cagnotte, avec papa qui répète tous les soirs : “Tu verras, chérie, quand on aura assez dans la cagnotte, on partira aux Baléares”. Il me dégoûte quand il l’appelle “chérie”. Mettez deux personnes qui n’ont rien en commun, qui ne se parlent jamais en dehors du travail, qui s’endorment avant même que j’aie pu atteindre ma chambre, et vous avez mes parents. Je me demande parfois comment j’ai pu être conçue. À mon avis, c’était le hasard. Dans les fêtes familiales, quand papa a un petit coup dans le nez, il raconte toujours la même chose : “Et heureusement qu’on ferme le lundi, sinon, y aurait pas eu de Mathilde. Hein ? Ma chérie !”

Mouais. Heureusement. Qu’est-ce qu’il est vulgaire quand il est saoul. Heureusement, surtout, qu’il y a la boulangerie pour tenir votre ménage. Heureusement que l’héritage de maman a permis d’acheter un fonds de commerce, d’engager un apprenti, de flirter avec l’apprenti, de se marier avec l’apprenti et de faire de l’apprenti le patron le plus heureux de la capitale. C’est sûr ! Et un lundi, au lieu de faire du pain, on fait une Mathilde, on laisse maman faire la nounou, et on pose ses grosses paluches sur le cul de la vendeuse. Gros dégueulasse. Avoir un père qui est toujours plein de farine, qui a chaud parce qu’il est gros, qui a chaud parce que le four marche en permanence, qui a chaud parce qu’il monte un escalier. J’ai jamais fait une seule bise à mon père qui ne soit à la fois grasse, mouillée et farinée. Quel bonheur !

Au début, c’est rigolo de vivre dans une boulangerie. On a toujours des croissants au petit-déjeuner, avec de la brioche et du bon pain chaud. À chaque fois qu’on part à l’école, on embarque une sucette et quelques bonbons, de quoi faire jalouser les copines. Et puis toutes les clientes vous trouvent mignonne, et sage, et “Viens par ici, ma chérie”, et “Qu’est-ce qu’elle grandit vite”, et “Combien ça lui fait maintenant ?” et “Une vraie petite demoiselle”, et MERDE ! Laissez-moi tranquille. Je ne grandis pas plus vite qu’une autre, je suis même trop petite pour mon âge. Mathilde, maintenant, elle a vingt ans, et elle vous emmerde ! Et les croissants, elle n’aime plus ça, et la brioche, ça la dégoûte. Elle en a marre d’entendre ses copains lui parler de la boulangerie de la rue Ménard qui fait des pains au lait meilleurs que ceux de sa mère, elle en a marre d’embrasser son père enfariné et d’entendre sa mère lui rabâcher les oreilles avec son contrôle fiscal.

C’est vrai, quoi ! Si elle continue comme ça, je vais finir par la dénoncer ! J’expliquerai au contrôleur comment on fait avec la caisse, comment on enregistre certaines fournées de pain, et comment on “oublie” d’en compter certaines autres. Je lui dirai comment on fait pour remplir une cagnotte. Je le sais, je m’en suis fait une. Une cagnotte personnalisée, avec les pièces de dix centimes. Je lui présenterai la petite vietnamienne qui vient faire le ménage à trois heures du matin, et la vendeuse qui travaille les jours fériés. Je lui expliquerai comment des parents ingrats embauchent leur fille pour qu’elle se fasse de l’argent de poche. Radins ! Mes copains, ils n’ont pas besoin de s’afficher derrière une caisse enregistreuse pour gagner un peu d’argent. Il suffit qu’ils demandent vingt euros, et ils les ont. Ouais, je vais faire ça, je vais appeler le contrôleur fiscal, et après, je me barre. J’irai retrouver Aziz à Marrakech.

Aziz, mon petit Aziz ! J’étais à la caisse le jour où tu cherchais désespérément la place de la Concorde. Ton plan de Paris était si vieux, qu’il n’y avait pas toutes les lignes de métro. Et puis, tu m’as demandé de t’accompagner. Les parents étaient partis faire un séminaire autour de je ne sais plus quelle farine spécialisée. J’ai mis toute ma cagnotte personnelle dans la caisse, j’ai balancé tous les pains dans le caniveau, j’ai fermé la boutique et je t’ai emmené. Partout ! Sous les ponts, sur les bateaux-mouches, en haut de la butte Montmartre. Qu’est-ce que c’était romantique ! Et puis, tu es reparti. Cette journée avec toi a bouleversé ma vie. Quand je suis rentrée, tout me dégoûtait : les parents, les clients, l’appartement au-dessus de la boulangerie, l’odeur infecte du croissant chaud, les tartes aux myrtilles, les religieuses au chocolat, les cagnottes, le commerce en général, les rues piétonnes, la ville, les lumières, le métro, le Viêt-Nam, les lundis et la rue Ménard. J’vais me barrer, j’vais me barrer ! Il n’y a que sur la place de la Concorde que je me sens bien. L’obélisque me rappelle qu’il y a quelque chose, de l’autre côté de la mer, qui m’attend et que j’aime. Ouais ! Je vais me barrer. Une seule remarque, et je pars en stop retrouver Aziz.

“Salut ma chérie !”

Bisou fariné, humide et gras. Je déteste qu’il m’appelle “chérie”. Et je déteste quand ma mère fouille sur mon bureau.

“Mais, Mathilde, tu n’as pas encore fini les factures de 95 ! Et puis, si on a un contrôle fiscal, et que tu écris tout de la même couleur, il va trouver ça louche, le contrôleur !
– Ah ! Lâche-moi, avec ton contrôle fiscal ! T’avais qu’à pas faire des trucs illégaux toute ta vie ! J’en ai marre de toutes vos conneries. Regarde, t’as l’air d’une vieille ! Et toi, t’as jamais envie de changer de tablier, de prendre une douche, de faire un régime ? J’en ai marre ! J’en ai rien à foutre de votre boulangerie à la con ! Vous savez quoi ? Et ben, j’me barre. Si vous me cherchez, je serai avec Aziz à Marrakech ! Salut !”

Petit silence. Les clochettes de la boutique retentissent violemment.

“Elle va revenir.
– C’est qui, Aziz ?
– C’est où, Marrakech ?”

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Chapitre 4 – Olivier 2

Ah ! Elle est enfin entrée dans un immeuble. Une demi-heure pour faire le tour du pâté de maisons. Elle est restée scotchée devant la boulangerie de la rue Ménard. Je la voyais trembler comme une petite fille fragile. Le remords, t’avais qu’à pas fermer ! C’est sûr que ça doit faire bizarre de voir les clients débarquer chez le concurrent. On se croit indispensable, on chipote à longueur d’année pour trouver des idées sur la disposition des croissants et la couleur de sa robe, on ne s’arrête jamais parce que “vous comprenez, les clients”, et puis un jour, on se rend compte que tout le monde s’en fout, que si les clients viennent dans telle ou telle boulangerie, c’est parce que c’est plus près, et que si c’est fermé, ils vont ailleurs. Le gouffre, quoi. Tout dégringole. C’est peut-être ça qu’elle voulait vérifier. Elle a dû se dire : “Et si je ferme, est-ce que j’aurai des suicides sur le trottoir ?”

Ben, non ! Par contre, si tu fermes, il y aura toujours un client comme moi qui cherchera à comprendre et qui te suivra jusque dans tes toilettes pour avoir des éléments de réponse. Non, mais, qu’est-ce qu’elle a bien pu penser ? Qu’elle fermerait à 17 heures et que nous la laisserions faire sans bouger le petit doigt ? Il nous faut des explications, à nous, et il faut nous prévenir plus longtemps à l’avance. Déjà, nous sommes toujours les derniers informés quand elle augmente les prix, nous sommes obligés de recompter la monnaie deux fois de suite. Et devant notre surprise, toujours des explications idiotes : “Le passage à l’euro, pour arrondir” et puis “Le prix de la farine a tellement augmenté” ou encore “Les impôts fonciers, ah, la, la, les impôts fonciers”.

Et moi alors, comme si mes impôts n’augmentaient pas, comme si j’achetais jamais de farine. Comme si je ne savais pas me servir d’un convertisseur. Il suffit d’afficher le prix en francs et hop, la somme s’affiche en euro. Une baguette à cinq francs, ça fait soixante-seize centimes, pas quatre-vingts. Qu’est-ce que c’est que ces manières ! Menteuse !

Il a fallu que je me reprenne plusieurs fois, dans la rue, quand je la suivais. Il y a des moments où j’étais tellement près que je l’entendais penser. Ah ! Comme j’aurais voulu qu’elle se retourne, qu’elle m’explique en deux secondes tout ce qui se passait. J’aurais gagné un temps précieux et cette foutue pluie n’aurait pas inondé mes chaussures. Flop, flop. J’ai cru que ce bruit allait me trahir, j’ai même dû ralentir la cadence. Heureusement, elle n’a pas pris trop de distance. Et elle se doute tellement de rien, la boulangère, que j’ai pu voir le code qu’elle a composé sous la pluie. Apparemment, elle ne vient pas souvent. Elle ne connaît pas le code par cœur, et elle s’est trompée deux fois. Du coup, moi aussi je me suis trompé, et j’ai bien cru que j’allais perdre la partie.

Bon, qu’est-ce qui peut bien y avoir dans cet immeuble qui vaille la peine de fermer une boulangerie à 17 heures ? J’avais espéré qu’il y aurait un ascenseur, qu’elle le prendrait, que la cabine resterait assez de temps pour que je puisse retrouver l’étage, en montant par l’escalier. Comme il doit y avoir deux ou trois appartements par pallier, j’aurais fait deux ou trois hypothèses. Pas d’ascenseur, huit étages. Le nombre d’hypothèses est donc multiplié par huit. Un cabinet médical au premier, comprenant un dentiste, un généraliste et un pédiatre. Non, non, c’est pas ça. Le généraliste, il comprend le métier des gens, et il sait attendre que la boulangerie soit fermée pour fixer un rendez-vous à une boulangère. La gamine de la boulangère, elle a vingt ans. On va pas chez le pédiatre, à vingt ans. Et puis on ne ferme pas sa boutique pour une rage de dents ! Un notaire, au troisième. Peut-être un mort dans la famille, une lecture de testament. Elle ne serait pas venue toute seule, à moins qu’elle soit en retard, ou fille unique. Et là, au quatrième, une association. Vu le nom, ça doit être un truc humanitaire. Pour faire de l’humanitaire, il faut avoir du temps, ma p’tite dame. Ah ! Je ne trouve rien. Le reste, ce sont des noms de famille. Il n’y a rien de plus banal qu’un nom de famille qu’on ne connaît pas. Futard, Lebowsky, Armand, Bourrin. Coton, c’est bien comme nom. Il y a trois Chen, une famille de chinois, certainement. Et ce truc, écrit à la main, c’est illisible. Krafpin, ou Graffin.

De toute façon, avec les noms plantés sur les boîtes, je peux bien supposer tout ce que je veux : un amant, une vieille tante, un petit garçon leucémique à qui on vient faire la lecture, une sœur jumelle qu’on vient de découvrir, séparée de la famille à la naissance, placée dans un orphelinat. Elle a fait des recherches, et elle a trouvé une sœur boulangère qui habite à côté de chez elle. Non, ça tient pas debout ! Il y a l’heure, aussi. Je ne dois pas oublier qu’elle a un rendez-vous. Et de la plus haute importance. Qu’est-ce qui peut bien pousser quelqu’un à inverser l’ordre de ses priorités ? L’argent, évidemment ! Ah, j’en étais sûr ! Le prix du pain, ça suffit pas ! Il faut encore qu’elle fasse du chantage. Un père de famille, sans histoire, qui rentre un jour dans la boulangerie avec une jeune demoiselle à son bras. C’est le matin, ils viennent chercher des croissants, ils ont ce petit sourire qui trahit leur nuit adultère. La boulangère la connaît bien, la femme du monsieur, elle achète toujours un pain de mie tranché. Et au lieu de savourer le bonheur des autres, elle décide de faire chanter ce pauvre homme à qui on reproche d’acheter des croissants.

JALOUSE !

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