Chapitre 3 – L’avocat du diable

Quatorze portes ouvertes. Quatorze portes refermées. Deux fouilles corporelles et une main attachée dans le dos. Me voici enfin au parloir.

“Bonjour, Norbert. Je suis le père Ipate. Je suis mandaté par la commission annuelle des remises de peine pour défendre votre dossier auprès de mes confrères. L’homme que vous voyez devant vous porte une triple casquette : celle de journaliste, pour reporter la vie des hommes et celle de Jesus ; celle d’avocat, pour défendre les lois des hommes et celle du Seigneur ; celle d’homme d’église pour vous servir et servir notre créateur. On dit que je suis celui qui trouve, au fond des âmes punies, la petite parcelle de lumière qui ouvre cette partie invisible du cœur où se trouvent le remords et la rédemption.”

Je n’ai jamais vraiment aimé les curés. Celui de Grimont me reproche toujours de ne pas accompagner Simone à la messe. Il trouve toujours le moyen de me rappeler mon baptême tardif et le fait que mes parents, décédés lors d’une croisière sur le Rhin le jour de leur cinquantième anniversaire de mariage, n’ont jamais eu de cérémonie religieuse. C’est pas de ma faute si on a retrouvé que l’appareil photo de papa. On n’allait pas dire une messe pour un appareil photo, surtout qu’il marchait très bien. Dès qu’il y a plus de trois personnes, le curé de Grimont raconte à tout le monde que j’ai recraché l’hostie à ma première communion parce que le corps du Christ était resté coincé dans mon appareil dentaire. Rien à voir avec un quelconque dégoût pour la religion, mais cette pâte dure instantanément molle dès qu’elle est humectée avait largement obstrué les passages habituellement empruntés par l’air qui, au lieu d’aller directement dans mes poumons, avait fait un petit tour à travers tous les fils de ma centrale électrique dentaire et était ressorti indemne par le trou d’où il était entré, à savoir ma bouche. Mon nez, véritable voie de secours pour communiant en détresse, était à cette époque colonisé par une série de microbes estivaux comme on les trouve dans certains allergènes, et j’avais donc opté pour une solution radicale qui consiste à recracher la jambe du Christ sur l’aube flambant neuve du curé. Une toux d’un quart d’heure avait suivi ce qui passa pour un blasphème. Ma mère, me croyant tuberculeux, s’était mise à prier la vierge en me secouant dans tous les sens et en pleurant à chaudes larmes. Les pompiers de Grimont avaient été mobilisés. Ils n’étaient pas sortis de leur caserne depuis que le chat de la mère Soulage était venu se percher en haut du monument des cinq morts, le 11 novembre 1986. Personne n’ayant su si j’avais ou non avalé ne serait-ce qu’un morceau de l’hostie, le village considéra que ma communion n’était pas validée et je fus banni de l’eucharistie de Grimont jusqu’à mon mariage.

“Racontez-moi votre mésaventure, Norbert.”

Soit, je raconte une fois de plus mon invraisemblable histoire d’Acétone à un inconnu qui va hésiter entre le rire et la pitié, camouflant l’envie irrésistible qui va subitement l’envahir de raconter à ses amis l’histoire grotesque de ce simple d’esprit qui a tué sa femme lors d’une banale séance de repassage.

Le quart d’heure de monologue est passé. Le curé me regarde. Je ne sais pas si c’est la pitié de l’homme d’église, la convoitise de l’avocat ou le voyeurisme du journaliste qui éclaire ainsi le regard d’un inconnu, mais mon histoire a l’air de l’interpeller. Je pense que si une parole pouvait sortir de sa bouche, ça pourrait être “Bah”, ou “Hey”. Mais en fait, rien ne sort. Il avale un verre d’eau, s’éclaircit la voix, rechausse ses lunettes.

“Alors, il s’agit d’un malheureux accident !”

Non, bien-sûr, j’ai délibérément donné à ma femme la bouteille d’Acétone, j’ai immédiatement élaboré le stratège du meurtre parfait en appelant moi-même les pompiers de Grimont qui n’étaient pas sortis de leur caserne depuis ma première communion, et j’ai sagement attendu que ma maison brûle avec un morceau de puzzle collé au bout du pouce avant de songer à m’enfuir. Ah, mince, trop tard, la police était déjà sur place et ma cavale n’a jamais commencé ! Quelle limace, ce père Ipate !

“Et depuis, Norbert, avez-vous rencontrez Dieu dans votre prison ?
– Ben oui. En effet. J’ai rencontré Dieu.
– Ah !!! Et… euh… Comment s’est passée votre première rencontre ?
– Ben, c’était au réfectoire. Je le voyais pas bien parce qu’il était en contre-jour.
– Dieu est lumière !
– Ouais, peut-être, en tout cas il m’a apporté tout ce que je cherchais. Il fait de vrais miracles, Dieu, et depuis que je l’ai rencontré, mon séjour en prison est devenu moins ennuyeux.
– Vous avez rencontré Dieu car il a entendu votre cri d’alarme et votre besoin de justice.
– Ah bon ?!
– Vous avez rencontré Dieu car vous cherchiez quelque chose…
– Exact !
– … le chemin de la vérité !!!!
– Ah bon ?!

Le curé se lève, hystérique :

“Dieu est venu à vous, Norbert, pour vous faire sortir de prison et je suis son MESSAGER. Appelez-moi Gabriel.”

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Chapitre 14 – Le cycle de la vie

Vatican, petit état d’Europe. Coin tranquille où il ne se passe pas plus de choses en un an qu’il ne s’en passe en une heure dans tout autre état du monde entier. Ici, une seule petite maison a des volets rouges, une seule petite maison possède un garage d’où une vieille voiture aux vitres brisées par le temps ne sortira certainement jamais, une seule petite maison reste timidement encastrée entre deux églises désaffectées qui ôtent tout espoir à toute plantation du jardin de revoir un jour la lumière du soleil, une seule petite maison, enfin, crache inlassablement, à l’aide d’une cheminée en pierre brande-ballante, quelle que soit la période de l’année, une fumée légèrement noircie, rappelant aux passants qui s’attarderaient à la regarder, qu’ici le temps n’a pas vraiment d’importance. Deux pièces, une cuisine, pas d’étage, un puzzle daté de 1910 collé pour l’éternité, ornant une galerie de photos, portraits et paysages dont seul l’auteur peut situer l’échelle chronologique pour comprendre pourquoi la Chapelle Sixtine se retrouve aux côtés d’une caserne de pompiers.

Depuis son dernier discours, Norbert a choisi le silence pour se consacrer enfin aux plaisirs quotidiens qui n’auraient jamais dû, selon lui, quitter le cours existentiel de son activité. Après avoir réinventé toutes les techniques révolutionnaires de réalisation, Norbert, ayant épuisé la réserve naturelle des puzzles de cinq mille pièces, décide qu’il est temps à présent, de concevoir ses propres œuvres. Prendre une minuscule pièce, la découper patiemment, la peindre, la laisser sécher, l’assembler aux autres, défaire le puzzle, coller chaque pièce sur un autre support, et vérifier que le modèle réalisé correspond bien au modèle imaginé. Inutile alors de comprendre la maturité d’un artiste, et si Norbert décide que le modèle ne ressemble à rien, aucun commentaire d’aucune nature ne peut le décider à garder une œuvre qu’il juge ratée. Et il se lance dans la “déconception”, étape importante durant laquelle les erreurs commises enrichissent un répertoire d’idées en perpétuel devenir.

Il n’aura pas fallu beaucoup de temps à ce pape bienveillant pour venir à bout des conflits séculaires. Déjà, lorsqu’il était député, installant en Europe le principe de la voiture électrique, il avait mis fin au cycle infernal de l’économie mondiale qui puisait, sous le poids d’inhumaines décisions, les ressources naturelles de la Terre tout entière. Finis les dogmes et les principes, finies les querelles de chapelle et les guerres de religion, finies enfin les croyances infructueuses. La mort de Dieu avait poussé les fidèles à s’occuper d’eux-mêmes, projetant dans leur avenir une idée concrète et responsable de ce qui pouvait être mieux, autrement.

Et maintenant que Norbert a fait l’essentiel, il peut prendre le temps de s’adonner, sans compromis ni complexité, à son loisir et à sa vie paisible, avec Paulette, une gouvernante dévouée qui l’aide chaque jour pour les tâches domestiques.

“Oh, désolée, Norbert, j’ai encore fait un pli à votre chemise. J’espère que je pourrai la ravoir pour ce soir !”

Ce soir, Norbert a accepté de faire une courte apparition dans une soirée organisée en son honneur. Tous les dirigeants du monde entier ont fait le déplacement et les amis les plus proches du souverain pontife savent qu’en organisant un noël spécial pour les petits Éthiopiens, Norbert ne refusera jamais d’honorer la soirée de sa présence. Feu d’artifice, distribution de cadeaux, parties de carte, et comme toute fête mérite une part d’originalité pour être réussie, celui qui l’a organisée a décidé d’offrir aux convives, en plein hiver, défiant ainsi les lois fondamentales de la nature, des coupes remplies d’un fruit qu’on ne trouve qu’en été : des fraises.

“Bon, apparemment, je vais pouvoir y arriver. Vous pourriez me passer la bouteille d’eau déminéralisée, pour mon fer ?”

Seules les injonctions de la gouvernante trahissent de temps en temps le silence de cet endroit installé pour durer. Norbert communique sous forme d’expressions explicites du visage qui traduisent son avis, ses désaccords et ses volontés. Parfois, un geste est nécessaire. Celui qu’il vient de faire à Paulette pour répondre à sa question est très simple et elle le comprend sur le champ : “Deux petites secondes, j’ai un bout qui colle.”

Paulette s’amuse toute seule à ce sujet. Elle sait qu’après ce geste, même si elle n’a jamais véritablement entendu ce qu’il voulait dire, elle devra attendre vingt bonnes minutes avant d’interrompre une fois de plus l’activité du pape. Des petits gloussements de vieilles dames se concentrent en silence au niveau de ses épaules, ébranlant un gilet aux mailles trop épaisses, et les larmes du bonheur coulent déjà sur ses petites joues ridées. Dans l’éclat d’un sourire étouffé, Paulette fouille dans sa poche pour trouver un de ces vieux mouchoirs brodés qui ont traversé plus de quatre générations. Elle ôte ses lunettes, éponge ses larmes, et réitère sa demande.

“S’il vous plaît, Norbert, je vous ai demandé quelque chose !”

Alors, Norbert dévie lentement son mouvement machinal vers la droite, tend lentement le bras vers la table où il pose toutes les bouteilles, tâtonne, tâtonne, attrape une bouteille en plastique et la dépose près de Paulette.

Paulette verse le contenu de la bouteille dans son fer.
Glouglouglouglouglouglouglouglouglouglou.
Un bruit familier pousse Norbert à se relever immédiatement, comme par réflexe.
Pschhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh… t.
Ce qu’il pressent est en train de se reproduire sous ses yeux ébahis :
Une flamme incommensurable
Flouch !
Et soudain, une explosion.
PAF.
Suivie d’une seconde explosion, plus forte que la première.
PAF.
Et une dernière, exceptionnellement titanesque.
PAF.

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Chapitre 13 – Vatican III

Ce qui est bien quand on est pape, c’est que tout ce qu’on dit est tellement important, que personne ne peut discuter, contester, et revenir sur ce qui a été dit. Même pas le prochain pape. Ici, ça s’appelle “le dogme de l’infaillibilité” et depuis quelque temps déjà, le pape, c’est moi. À mon arrivée, tout le monde m’a bien expliqué ce principe qui fonde la responsabilité de l’Église tout entière. On m’a bien expliqué aussi que, si je souhaitais changer quoi que ce soit, il fallait passer par un collège de cardinaux, que j’organise un concile, que je traduise tout en cinquante langues, que je prévienne la presse, la radio et les États-Unis, et que je choisisse une date symbolique du calendrier Julien. C’est pas du tout comme au Parlement européen. Personne ne vote, mais tout le monde doit se mettre d’accord avant que je puisse parler à mon cher public.

Hé, hé. C’est que je suis un homme d’expérience, moi. Je sais comment avoir la paix avec les procédures les plus lourdes. Infaillibilité, me voici ! Et la première chose que j’ai choisi d’appliquer, c’est ça ! Dans mon premier discours, j’en ai profité pour annoncer que le pape, c’est-à-dire moi, devenait libre dans ses choix et dans ses décisions, qu’il n’aurait à présent plus besoin de toute cette procédure pour appliquer sa politique. Pour sûr, ils étaient pas contents, les cardinaux. Mais bon, ils pouvaient pas trop la ramener, ils m’avaient élu après tout.

Je me suis fait immédiatement pardonner en leur autorisant de se marier et de fonder des familles au sein même du Vatican. La politique familiale, c’était ce qu’il y avait de pire quand je suis arrivé. Et hop, la natalité de notre état explose, des crèches partout. Il va falloir faire des écoles, des lycées, des universités, des usines, des maisons de retraite. Quel boulot ! Depuis qu’ils ont leurs petites familles, ils me laissent un peu tranquille, les cardinaux. Je me suis organisé un emploi du temps allégé en annulant les homélies, les messes et quelques voyages inutiles. C’est que je ne suis plus tout jeune, moi, et le Parlement, ça m’a fatigué. Même plus le temps de faire des puzzles. Tant qu’à être le chef, autant avoir le temps de préparer une retraite paisible. Tiens, il faut que je pense à ça : dans mon université, la pratique du puzzle sera obligatoire, ça forme l’esprit, ça calme, c’est constructif. C’est pas comme le football !

Je me souviens du premier jour où je suis arrivé à Rome. Y avait un monde fou. Il faut dire qu’un pape qui se promène avec sa réserve d’Acétone, ça passe pas inaperçu. Je préfère garder un œil sur tout ça, c’est trop dangereux. Il y a assez d’Acétone ici pour faire sauter tous les fers à repasser du monde entier. Ah, ma pauvre Simone. C’est quand déjà, la Saint Simone ? Faudra lui faire un culte exceptionnel. Au Vatican, j’ai fait venir quelques amis : Léon, Justin et Pancho, le petit Mexicain. Maurice, il a préféré rester au FBI, mais il vient souvent nous rendre visite. Comme ça, il ne nous manque jamais personne pour une partie de belote amicale. Puzzle, belote. Jamais d’ennui au Vatican. Il ne reste plus que Dieu. J’ai chargé Justin d’aller le chercher. Ils devraient arriver d’une minute à l’autre.

“Mon très cher Norbert, je suis revenu d’Amiens,
Les nouvelles que j’apporte sont chargées de chagrin.”

Ah, ce Justin. Toujours en alexandrins. Quelle merveille !

“Tu connais l’activité principale de Dieu,
Qui consiste à trouver tout ce qu’on lui demande.
En cherchant l’impossible, il resta silencieux,
Et, seul, pour ne pas contredire la légende,
Il décida de laisser la vie s’échapper,
Hier, en se pendant aux barreaux par les pieds.”

Quoi ? Il est mort ?

“Oui, je le crains, mort et enterré ce matin.
La prison en suffoque d’avoir perdu son saint,
Et ceux qui ont toujours un objet introuvable,
Voient tous leurs désirs devenir insatiables.”

Oh… Merde, alors. Moi qui pensais qu’on se retrouverait tous ici. Quel coup ! Le pauvre ! Qu’a-t-on pu lui demander qu’il ne puisse pas trouver ? Il faut que le monde entier sache qu’il était un samaritain dévoué pour la cause des hommes. Il ne mourra pas dans l’oubli, celui-là. Il mérite une journée tout entière de deuil et de recueillement. Je vais faire venir les sœurs de Grimont pour qu’elles prient pour son âme. Elles auront même le droit de chanter. Vite, mon conseiller, par ici, j’ai quelque chose à dire au monde. Fais venir la presse, les touristes et le roi d’Espagne. Oh, puis non, ce sera trop long. Ici, c’est pareil que chez moi, il suffit que je me mette à la fenêtre pour que tout le monde s’agenouille. Allez, hop, à la fenêtre.

Pas manqué, y a toujours quelqu’un sur la place Saint Pierre. J’attends un peu que les journalistes allument leurs caméras. C’est cool, y a même le père Ipate, il va pouvoir faire un article, comme ça.

“Mes chers fidèles. Aujourd’hui, notre monde vient de perdre un être important. À un moment crucial de ma vie, il m’a aidé à trouver le chemin de la vérité. Grâce à lui, j’ai repris l’espoir de retrouver le bonheur d’une vie meilleure. Mais il a choisi de nous quitter et je veux que vous tous, vous preniez le temps de penser à lui toute votre vie pour le récompenser, dans l’autre monde, d’avoir servi son prochain. Mes chers fidèles, j’ai décidé d’assumer cette charge qui consiste à fleurir la mémoire des êtres les plus dévoués, pour qu’ils deviennent éternels. Je resterai silencieux le temps du recueillement, après ces trois mots que je dois vous dire et qui me font souffrir : DIEU EST MORT. Amen.”

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Chapitre 12 – ONU soit qui manigance

Quand on voyage à travers le monde, on a vite fait de passer plus de temps dans les chambres d’hôtel que dans son propre lit, à tel point que le confort domestique, celui qui fait que “chez vous” ne peut pas être “chez un autre”, se symbolise dans n’importe quel verre à dent en plastique, dans n’importe quel tableau accroché à n’importe quel mur, et dans n’importe quel motif qui orne n’importe quel rideau. Quand je rentre à la maison, j’ai parfois même du mal à reconnaître mes propres serviettes tellement je me suis habitué à utiliser la petite serviette blanche bien pliée en trois au-dessus du bidet que l’on trouve dans toutes les salles de bain du monde entier. Heureusement, les amis les plus chers savent disposer, au milieu des normes touristiques, les petits signes qui font que, au premier regard, on s’approprie un espace étranger : un puzzle sur la table de chevet, une petite coupe de fraise soigneusement sucrée et un jeu de carte prêt à l’emploi. Merci, Maurice.

Rien de mieux pour se remettre d’un décalage horaire que de se plonger dans la réalisation d’un puzzle de cinq mille pièces. La concentration m’aide toujours à oublier le temps officiel, et deux petites secondes peuvent souvent paraître durer plusieurs minutes pour quelqu’un qui n’aurait pas la même notion du temps que moi. Pas facile, le puzzle de Maurice. Deux tours au bord de la mer. Dans ma courte visite en taxi, je les ai même pas vues.

– Salut, Norbert !
– Deux petites secondes, j’ai… Ey ! Maurice !
– Excuse-moi de te déranger, nous devons partir au siège de l’ONU. On nous attend à 2 pm pétantes. Hé, hé, je vois que tu as mangé toutes les fraises !

En moins d’un quart d’heure, le cortège officiel de Maurice réussit à faire ce que mon taxi a mis deux heures à parcourir. Pas le temps d’attendre avec le FBI. Tout va vite. Vite, on entre dans le bâtiment. Vite, on monte au sixième étage. Vite, on prend un café. Vite, on attend que la réunion d’avant soit finie. Le temps pour nous d’échanger quelques petites astuces politiques.

– … et, par exemple, quand on prend une décision comme “rétrécir un pays” ou “changer de langue dans un pays” ou “installer un restaurant à Moscou”, on prend l’argent du calepin et on voyage à travers le monde pour essayer d’offrir des contreparties. À chaque fois, ça marche.
– Sauf que, à chaque fois, vous avez besoin d’argent.
– Oh non, pas toujours. Des fois, on peut aussi créer des situations qui permettent de changer ce qui mettrait trop de temps avec une voie normale. Pour les opinions publiques, c’est mieux. D’ici, on peut tout changer. Tiens, regarde, à travers cette vitre, il y a les représentants de tous les pays du monde. Si tu en choisis un, même au hasard, je te promets que, dans moins d’une semaine, tu seras à sa place.
– Ouah… Et je pourrais être roi de France ?
– Euh, roi de France, c’est un peu plus long, il faut quand-même organiser un désordre social, un système politique inefficace, une grève générale, une aide britannique et une restauration du château de Versailles.
– Bon, laisse tomber. Versailles, c’est loin de tout.
– Regarde, et prends ton temps. Choisis-en un qui te plaît.

Dur, dur… J’avais jamais remarqué que le costume était si différent d’un pays à l’autre. La plupart, ce sont des costumes classiques, mais il y a aussi des turbans, des couronnes, des djellabas et des tuniques noires. Quitte à choisir, autant prendre un truc original, j’en ai marre, de mon costume trois pièces de député européen. Et puis, si ça ne me plaît pas, je reviendrai voir Maurice pour qu’il me remette à Bruxelles.

– Je prends celui-là, avec la robe pourpre.
– Pourquoi lui ?
– J’aime bien le pourpre.
– Tu te vois dans un immense palais, un jardin sublime, dans une ville qui regorge de ruines romaines, avec des gardes suisses et des touristes qui t’acclament ?
– Oh oui, oh oui, oh oui !
– T’es baptisé, au moins ?
– Ah, ne remets pas ça ! Tu sais bien ce qui s’est passé à ma première communion !
– Ah oui, désolé. Par contre, c’est un peu comme moi quand je suis devenu directeur du FBI, il faudra peut-être que tu changes de nom.
– Norbert, c’est le nom que ma mère m’a donné, et je ne le rendrai jamais.
– Comme tu le sens, on s’arrangera. Bon, ben… Laisse-moi quelques jours. Si je n’y arrive pas, je te donne ma recette de sucre. Je n’ai qu’une parole.
– Tu es un frère, Maurice.

Et le pape, à la suite d’un frugal repas, fut pris d’horribles et incessants maux de tête. Chaque fois qu’il se levait d’un fauteuil, il en tombait aussitôt, à tel point que les cardinaux durent faire appel à Handicap International pour offrir au souverain pontife un siège d’où il ne se lèverait jamais. Quelques jours plus tard, voyant que sa santé s’améliorait, un incendie se déclencha dans sa chambre, le brûlant au septième degré. En bandant le pape des pieds à la tête, le médecin oublia de laisser un trou pour qu’il puisse respirer. Et il s’éteignit sans douleur. Comme le veut la tradition, les cardinaux se réunirent pour élire le nouvel évêque de Rome. À la surprise générale, sans doute pour éviter toute querelle de chapelle, ils choisirent, pour la première fois, un homme issu de la société civile, français et populaire à la fois, qui prit, sans hésiter, le nom de Norbert 1er.

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Chapitre 11 – À la une de “Somme exacte”

Les évadés de la Somme.

La mondialisation et la décentralisation sont-elles des principes que nos élus peuvent défendre et soutenir en même temps, alors que leurs finalités semblent diamétralement opposées ? Peut-on, depuis un même siège parlementaire, demander aux régions de répondre plus directement aux attentes de nos citoyens et prôner le rapprochement des sociétés internationales ? Car, si l’une a pour effet d’offrir plus de proximité aux français éloignés des grandes métropoles, ceux que l’on appelle déjà “les derniers bouzeux”, l’autre oblige nos entreprises à se regrouper en dehors de nos régions, voire, en dehors de notre pays. Certains suivent leurs sociétés qui n’hésitent pas à leur proposer des salaires attrayants, des logements de fonction, des accès directs dans des crèches flambant neuves et des tickets-restaurant. Pour eux, même si l’éloignement géographique suppose de délaisser une grand-mère fatiguée, la vie qui les attend est souvent bien meilleure. Mais, que les statisticiens se rassurent, ce paradis du salarié est réservé à l’élite patronale et concerne souvent les cadres. Pour les autres, les modestes employés qui ne peuvent pas quitter leur terre parce que les mêmes sociétés ne leur ont proposé qu’un aller-simple pour leur nouvelle destination et la prise en charge d’une moitié de leurs frais de déménagement, pour eux, l’issue est parfois plus malheureuse. Le chômage s’installe dans les foyers, puis l’endettement et parfois, le suicide.

Malgré un suivi assidu des flux de populations à travers le monde, les sociologues ont parfois du mal à évaluer si les personnes qui quittent leurs régions d’origine le font par contrainte ou par envie de voir du pays. Et notre belle région, la Somme, n’a pas encore reçu le soutien d’obscures ONG qui pourraient répondre à ces nombreuses questions. De là à croire que l’exode rural est devenu une sorte de sujet tabou, il n’y a qu’un pas à franchir, chargé d’une semelle que votre journal a une fois de plus tenter d’alléger en suivant le parcours étonnant d’anciens habitants de la Somme qui se trouvent aujourd’hui un peu partout dans le monde.

Une enquête discrète nous a permis de constater qu’un grand nombre de villages regorgent de familles éclatées, d’oncles et de tantes partis sans laisser d’adresse ni de raisons apparentes. Pour une personne souvent âgée et abandonnée sur les trottoirs de l’hospice local, il est parfois difficile de faire le lien entre différents indices. Et pourtant, nous les avons tous retrouvés. Par exemple, une simple demande de changement d’adresse déposée, le lundi 20 août 1998, au bureau de poste de Moreuil, nous a permis de retracer le parcours d’Irène, cette jeune coiffeuse qui ravissait son entourage par la splendeur de ses traits et la qualité de ses coupes. Profitant d’un voyage organisé par le comité de jumelage de Moreuil, Irène part séjourner quelques semaines au Canada. En revenant, elle décide de suivre les cours du soir du “Petit théâtre de poche” et s’engage dans une troupe franco-canadienne. Elle quitte sa ville natale en août 1998. La date du changement d’adresse nous le confirme. Puis, l’errance si caractéristique de l’art canadien envahit la vie d’Irène. Elle se laisse porter par l’amour de l’art, s’endette et se retrouve dans l’engrenage fatal de la prostitution. Baladée à travers le pays, elle échoue, malade et sans un sou, sur la place de Montréal où la Croix-Rouge décide de l’accueillir et de la soigner. Irène est alors assaillie par ce besoin de revenir au pays mais, consciente que les commérages la précèderaient partout où elle irait, elle décide d’entrer dans l’ordre des Martyres de Sébastien afin d’allier son besoin de discrétion à son appel viscéral. Nous avons retrouvé sa trace à Grimont, sous le nom de Béatrice de la bonté du Christ. Ce destin tragique, tout le monde s’en souvient, s’est brutalement achevé sur un vulgaire trottoir où la nonne s’est vue démembrée par un automobiliste fou.

Étrange coïncidence. Car trois de nos enquêtes nous ont menés au milieu de ce village dont personne ne parle. Grimont. Et c’est devant la maison d’un de nos “évadés” que la coiffeuse de Moreuil a fini ses jours. C’est même cet incident tragique qui a poussé Norbert, modeste ouvrier de la Somme, à s’engager en politique et à conquérir la mairie de Grimont. Si l’on pouvait encore douter qu’un ancien taulard puisse devenir un jour conseiller municipal, on ne pouvait pas s’imaginer que le parcours de Norbert, battant la campagne à plein régime, le conduise aussi vite sur les sièges du parlement européen de Bruxelles. C’est bien un ancien Picard qui est à l’origine du plan si controversé des centres villes sans voiture. C’est à lui que l’on doit les derniers bouleversements économiques de l’Europe tout entière. Et demain, il pourrait bien être le visage incontournable de la politique internationale tellement ses liens vers les États-Unis semblent se renforcer.

Nous avons appris qu’il était l’invité d’honneur de l’ONU pour dresser un bilan de sa politique économique et sociale. Le secrétaire général a demandé à L’Union Européenne que Norbert puisse présenter sa vision humaniste à l’ensemble des pays du monde. À New York, Norbert sera accueilli par le nouveau directeur du FBI, Moritz. Encore une étonnante coïncidence, car cet ancien industriel est lui aussi un “évadé de la Somme”. Nos journalistes ont suivi son parcours depuis son départ précipité. Maurice, de son vrai nom, avait quitté Grimont pour faire fortune en Amérique du Sud où il a fondé la plus grande multinationale que le monde industriel n’a jamais connue. Notre député européen ne sera donc pas dépaysé.

Et le patois de nos régions sera peut-être la langue officielle du prochain sommet international qui se tiendra, dans quelques jours, au siège de l’ONU.

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Chapitre 10 – L’univers impitoyable

Ici, pour négocier avec Maurice, il faut passer par le rituel de la belote amicale. Et les Américains n’ont qu’à bien se tenir : quand je prends délicatement une fraise, c’est généralement le moment où je décide de laisser gagner l’adversaire. Hi, hi, hi. Il faut dire que le principe du gagnant qui perd, c’est quand-même moi qui l’ai inventé. Alors, on ne me la fait pas. Les Américains sont tellement formatés pour gagner, qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de garder les meilleures cartes, de donner des coups de pieds sous la table et de hurler “RE-BELOTE”. Avec leur accent, on dirait qu’ils aboient. À la fin des parties, je me lève et je déclare ma victoire. Ils n’arrivent pas à s’y faire. Aujourd’hui encore, un négociant Texan a fait voler son chapeau à travers la pièce, manquant de faire tomber le tableau des bénéfices de l’entreprise. Ils sont tellement fiables, les bénéfices, que le tableau n’a pas bougé. “Le sucre Maurice ne cède pas aux caprices !”

À Dallas, le succès de notre sucre est époustouflant. Nous avons pris tous les marchés que nous pouvions prendre. Pancho reste intraitable. La production reste en Uruguay, passe par la Colombie, s’arrête au Mexique et finit sur les fraises Américaines. De nombreux chercheurs ont essayé de comprendre pourquoi les consommateurs devenaient tellement hilares en absorbant notre poudre. À chaque fois, les enquêtes ont été entravées par la protection du brevet d’invention. Ici, aux États-Unis, ça s’appelle la liberté, et c’est une valeur fondamentale. On ne peut pas y toucher. Il faut dire aussi que Pancho est souvent allé leur parler discrètement. À chaque fois qu’il y va, il utilise l’argent du calepin, ce fameux compte dont on ne devait pas parler. Il avait tout prévu, Pancho, sauf peut-être le fait que notre production ne serait pas aux dimensions de l’immense demande que nous avons à travers le monde. Remarque, c’est plutôt bien, quand l’offre est inférieure à la demande, ça nous permet de monter un peu les prix. “Il est cher, le sucre Maurice, mais il mérite vos sacrifices”. Pour choisir nos clients, et pour éviter la corruption, nous avons dû inventer un système qui permet de faire la part des choses entre la chance et l’intelligence. Avec la courte paille, on avait du mal à discerner la perspicacité des candidats alors, c’est la belote amicale qui a été choisie. Et j’avoue que, côté perspicacité, on en découvre de bien bonnes.

Aux États-Unis, ils ont tout pareil que nous, mais en mieux. Les routes sont pareilles, mais plus longues. Les voitures sont plus grosses, les maisons sont plus belles, les catastrophes sont plus catastrophiques, les scandales encore plus scandaleux. Même devant les restaurants, Ronald Mc Donald paraît plus grand qu’en France. Mon bureau, je l’ai installé dans un immeuble qui ressemble au siège social flambant neuf du Crédit Mutuel d’Amiens, mais en mieux. C’est plus haut, les vitres sont plus propres, les ascenseurs vont plus vite et les secrétaires sont plus sympa. Aujourd’hui, je reçois le directeur du FBI. Il paraît que c’est comme la police, mais en mieux. Je l’ai déjà eu au téléphone, il a une de ces voix mielleuses qui n’osent pas vous dire que vous êtes un con quand vous êtes un con.

“Bonjour, Maurice.
– Bonjour, Monsieur le FBI, vous voulez une fraise ?
– Non, merci, je n’ai pas beaucoup de temps. Un rapport d’enquête vient de tomber sur mon bureau, et j’avoue que je trouve, comment dire, effarante, oui, c’est le mot, effarante, la liste des substances qui composent votre sucre.
– Mais, où l’avez-vous eue ?
– Peu importe, écoutez-moi, s’il vous plaît. Entretemps, une liste, comment dire, stupéfiante, je crois que c’est le mot le plus juste, une liste stupéfiante des personnes qui composent votre entreprise est arrivée sur mon bureau.
– Et beh, il en arrive des trucs sur votre bureau.
– Comme vous dites, mais laissez-moi poursuivre. J’ai ordonné une enquête qui nous a trimballés à travers le monde. Et nous sommes restés en arrêt devant les relations politico-commerciales que vous avez tissées en Amérique du Sud et en Europe.
– Oh !
– J’ai donc présenté ce rapport au Président des États-Unis.
– Et… ?
– Et… Il a trouvé que vous feriez un excellent candidat pour contrôler la sécurité de notre pays…
– Ah… ?
– … ainsi qu’un porte-parole efficace des relations que les États-Unis souhaitent tisser à travers le monde.
– Et beh !
– Il y a juste un petit problème.
– Lequel ?
– Vous ne parlez pas un mot d’anglais ! Alors, le président des États-Unis vous offre une formation accélérée, …
– C’est mon jour de chance !
– … un week-end en Floride à Disney World…
– Yahou !!!!
– … et la Clafabouille du boufitrux, dont je suis venu vous donner les clés.

Aïe. J’ai pas compris la dernière phrase. Les clés, les clés, cherche, Maurice. Une voiture, une maison, un petit casier dans une gare avec une surprise à l’intérieur. Est-ce qu’on a le droit de faire répéter le directeur du FBI ? Euh… oui.

– La quoi ?
– La Grougnure du chabala.

Mais, c’est pas le même mot ! Ils ont combien de dictionnaires, les Américains ? Depuis quand un mot peut être aussi vite remplacé par un autre ? Ey, pas d’entourloupe. Cherche Maurice, cherche. Un mot, un autre… UN LAPSUS !! Hi, hi, hi… Il bafouille, le directeur.

– Pffffff… La quoi ? Pffffff…
– La direction du FBI.

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Chapitre 9 – L’or blanc

Bon, elle est où, cette chaussette ? Comme si j’avais le temps de chercher une chaussette isolée dans un tas de linge sale pour l’appareiller à sa jumelle initiale. Si je devais inventer quelque chose, j’inventerai la “chaussette unique”. Comme en Chine. Sauf qu’en Chine, ils ont inventé l’enfant unique et, à ma connaissance, il a deux pieds, l’enfant unique, et donc deux chaussettes. À moins qu’on soit mal informés par ici. On ne va tout de même pas couper le pied des nouveau-nés pour économiser à leur mère le temps qu’elles passent à chercher la seconde chaussette. La solution, c’est d’accepter de porter une chaussette différente pour chaque pied. Un pied rouge, un pied vert, qu’est-ce que ça peut faire, hein ? D’autant que là, j’ai quand même tous les comptes à finir avant de partir. Ah ! Bababa, comme dit Pancho, Basta per la chaussetta ! Oups, pas sûr que ça se dise comme ça…

Bon, voilà les derniers chiffres : cinq mille, plus quatre cents, plus dix mille cinq cents. Euh, multiplié par quatre. Non, par deux. Je retiens “un”. Hum, combien y a-t-il de cargos déjà ? Je l’avais noté, sur un calepin rouge. Non, ça, c’est les comptes que Pancho ne veut pas divulguer. Peut-être là-dessous. Ey, ça y est, la voilà, ma chaussette. Bon, ça fait combien tout ça ?

Ouah ! Phénoménal ! J’ai encore explosé toutes les prévisions. Sur le tableau qui est accroché au-dessus de mon bureau, la courbe des bénéfices montre du doigt le ciel et toutes ses étoiles. 100 % le premier mois. Normal, on venait de commencer. Après, ça n’a pas cessé de grimper. L’expert nous a dit que la courbe était exponentielle. Je suis sûr qu’il y a un rapport avec l’exposition exceptionnelle dont l’exploitation bénéficie ici. Du soleil toute la journée, et de la pluie quand il faut. Merci Fernand pour tes précieux conseils, merci Pancho, merci Norbert ! Je reviendrai plus riche que le curé de Grimont et je construirai une cathédrale à la mémoire de ma femme.

Notre sucre, il s’arrache. Je me souviens de la première fois où un négociant est venu ici. Il était Espagnol. Comme avec moi, Pancho lui avait montré les feuilles vertes du départ, et le sucre en poudre de l’arrivée. On ne voulait vraiment pas rater l’affaire, alors, on l’avait bichonné, l’Espagnol. Il avait eu le droit à un cigare, et tous les ouvriers avaient été invités pour discuter avec lui. Comme c’était un jour important, j’avais réussi sans problème à imposer qu’au dessert, on puisse servir des fraises. Je sais laisser de la liberté à mes employés. Ils travaillent quand ils veulent, ils partent quand ils veulent, mais je suis tout de même un patron exigeant. Du coup, au repas, on peut manger n’importe quoi, il y aura toujours des fraises au dessert. De toutes les conversations qui se sont tenues ce jour-là, je n’ai pas retenu grand chose. Il faut dire qu’à l’époque, mes progrès dans la maîtrise de cette langue étrangère n’étaient pas fulgurants. Pancho s’était retiré quelques minutes avec le négociant. Je pense que c’est là que tout s’était joué. À moins que ce ne soit au moment du dessert. Ben oui, l’Espagnol avait été tout naturellement invité à partager notre table. Et les fraises, comme tout le monde, il les avait sucrées. Hi, hi, hi. En moins de temps qu’il en faut pour trouver une chaussette, le comportement de notre hôte s’était métamorphosé. Il riait à pleines dents. On avait dû attendre au moins deux heures avant qu’il puisse signer les contrats. Alors qu’il n’y avait même plus de fraises, il continuait à avaler des cuillères entières de sucre au point où Pancho avait dû lui retirer la boîte pour qu’il évite de nous vider notre réserve personnelle. L’Espagnol avait pris tout le stock. On m’a dit qu’il avait même vidé tout un carton avant d’arriver en Espagne. Et nous, on avait fait une de ces fêtes !

Dès qu’on a un nouveau stock, on fait venir quelqu’un. Même plan d’attaque. Visite, cigare, discussions locales et fraises au dessert. Et hop, la cargaison s’envole avec son nouveau propriétaire. Devant tant de succès, Pancho dit qu’il y a aussi un marché à prendre sur tout le continent américain. Il est même parti négocier en Colombie pour que notre sucre soit stocké à moindres frais. Nouvelle destination : les États-Unis. Comme tout est protégé là-bas, il faut que notre recette soit brevetée et que personne ne puisse venir mettre son grain de sel (hi, hi, hi) dans notre sucre.

Je suis content, parce que notre entreprise prend un nouvel essor. On a acheté toutes les plantations du pays, et on s’est organisés pour saupoudrer le monde de notre poudre magique. “Le sucre Maurice, c’est un vrai délice !” : Pancho restera en Uruguay. Il assurera le transport de la marchandise vers la Colombie. Un ami à lui fera le transit vers le Mexique et moi, je réceptionnerai le tout à Dallas. De là, je serai chargé d’envoyer le sucre en Europe. Il sera réceptionné en Hollande par Léon, l’ami de Norbert.

Bon, ça y est, j’ai ma chaussette. Je peux enfin fermer ma valise. Un jet privé m’attend sur le terrain d’à côté. Finis les voyages en cargos ! Finies les moules puantes ! VIVE LE SUCRE !

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Chapitre 8 – Et pendant ce temps-là, de l’autre côté de l’Atlantique

– Alors, Mauricio. Fais-les voir, ces moules.
Il goûte.
– Pouah ! C’est vraiment dégueux, comment vous faites pour manger des trucs comme ça !
– Ben, chez nous, c’est un plat traditionnel. En plus, avec des frites, c’est bon.

C’est marrant ça. Quand Fernand, vendeur de moules-frites, le seul concurrent que j’avais sur toute la plage de Berck, m’a dit qu’il fallait que j’essaie de vendre mon concept de l’autre côté de l’Atlantique, je me suis dit “Il se fout de ma gueule, Fernand”. Parce que le concept de mettre des frites avec des moules, c’est peut-être une bonne idée, mais je croyais que c’était déjà fait. Et pour cause, y en avait partout chez nous. Fernand m’a dit qu’il avait fait fortune en Amérique, qu’il était revenu, que grâce à ça il avait acheté une maison avec vue sur la mer et que, depuis, faire des moules-frites, c’était un loisir et qu’il n’avait pas besoin de ça pour vivre. Bof, il avait l’air sincère, mais il riait beaucoup quand-même. Alors, de toute façon, j’avais rien à perdre. Ma femme était morte, mon ami était en prison. Alors, tenter ma chance en Amérique, pourquoi pas !

Bon, le voyage le moins cher que j’ai trouvé, c’est un aller simple pour Montevideo. L’Amérique, c’est l’Amérique, qu’elle soit au nord au sud, c’est pareil. Les voyages commerciaux avec visite de la statue de la liberté, safari au Texas, week-end chez Mickey en Floride et trois jours à Las Vegas, c’était un peu trop cher. En plus, avec quelques tonnes de moules, les suppléments-bagages me coûtaient plus cher que de construire moi-même un bateau. Heureusement, j’ai trouvé un capitaine sympa. Il a accepté de transporter mes moules sur son cargo. Pour un prix défiant toute concurrence, j’ai pu m’installer dans la cale avec ma cargaison. Tant mieux, j’aime pas voyager sur le pont, ça tangue. L’horizon qui monte et qui descend à des vitesses aléatoires, ça me fait le même effet qu’à mon petit neveu qu’on berçait pour qu’il arrête de pleurer. Qu’est-ce qu’il a pu en repeindre, des murs !

Dix jours dans un cargo coincé entre des poulets vivants et des rats morts. Dix jours passés à protéger ma précieuse cargaison. Pour le prix, c’était pas réfrigéré dans la cale, alors, à heures fixes, il fallait aller chercher de l’eau (y en avait toujours un peu dans la cale) et ne pas oublier de rafraîchir mes petites moules. Comme dit mon frère, un petit jet bien placé te rafraîchit une moule pour plusieurs heures. J’ai dormi comme un jeune papa, me réveillant toutes les trois heures pour abreuver mes bébés. C’est que je voulais qu’elles soient bien fraîches en arrivant. Pour passer le temps, j’ai lu “l’espagnol en quarante leçons”, histoire d’apprendre quelques mots essentiels : “bonjour”, “moule”, “fraise”… Ben oui, j’aime bien les fraises.

En arrivant à Montevideo, je suis rentré un peu dans les terres pour éviter la concurrence du bord de mer et j’ai croisé Pancho, un jeune petit Mexicain exilé qui a fait un peu de prison, comme Norbert. Alors, je l’aime bien, Pancho, et si on trouve deux autres joueurs, je lui apprendrai la belote amicale.

– Et pourquoi tu vends pas du sucre, plutôt ?
– Ben, tout le monde fait dans le sucre, ici.
– Tout le monde fait dans le sucre, ici, parce qu’il n’y a que du sucre, ici ! Le sucre, c’est une valeur sûre, tout le monde en mange, tu peux le vendre n’importe où dans le monde. Alors que tes moules, on n’en mange que sur les côtes françaises de l’Europe !
– Ouhlala, et encore !
– Avec le prix d’une seule moule, je t’achète une plantation de sucre, Mauricio. Il faut juste que tu me trouves quelqu’un en Europe qui serait intéressé pour prendre toute la production.
– Ben, je connais bien un député européen. Il paraît que le sucre, il en a pas mal besoin. Je vais peut-être l’appeler pour savoir si ça l’intéresse.
– Un député ? Intéressant !
– Il a besoin de sucre pour tous les automobilistes européens. Un truc qui passe par la Hollande, je crois.
– La Hollande ? Bababa, je crois qu’on va faire affaire, Mauricio. Je t’explique : ici, c’est la plantation, avec les gens qui travaillent, qui arrosent, qui cueillent, qui plantent. Prends une photo, on l’enverra au député. Après, voilà, le sucre est en poudre. Prêt à partir !
– Ouah ! Impressionnant ! Et pour passer des petites feuilles vertes à la poudre, vous avez fait quoi ?
– Pose pas trop de questions. C’est trop technique. Toi, tu achètes la plantation, le député, il achète le sucre en poudre. C’est ça qui est important. Ici, en Amérique, on appelle ça un “deal”. Peu importe ce que tu vends et la manière avec laquelle c’est fabriqué. L’essentiel, c’est d’avoir un “deal”.
– Écoute, ça m’intéresse. Tu prends toutes les moules ?
– Toutes les moules ! Et les quelques billets qui pendent de ta poche. Ensuite, on appelle ton député. On mettra les moules sur la colline, là-haut, ça repoussera les mouches. Pas d’insecticides, que du naturel, du sucre biologique ! Il va être content, le député : commerce équitable, produits biologiques.
– C’est sûr, il va être content.

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Chapitre 7 – Léon de Bruxelles

Pouf, il s’en est passé des trucs depuis mon élection municipale. Le secrétaire général du Parti m’a demandé si je ne voulais pas participer aux prochaines élections européennes. Moi, je me suis dit, “ils cherchent encore un pigeon pour dépouiller les bulletins de vote”. Pas du tout ! Ils voulaient que je sois en tête de liste pour prendre un siège au parlement. Je leur ai dit, “mais je ne suis pas Belge et les Belges, ils ont leur Roi”. Alors, ils m’ont expliqué le coup de l’Union Européenne, du parlement qui décide tout, de l’euro et du contrepoids idéologique et économique que l’Europe représente face à la suprématie Américaine. Ouah ! Si Simone savait ça ! Je vais faire contrepoids avec des Américains ! Alors, du coup, j’ai accepté, et comme pour les élections municipales, je suis parti sur les marchés manger du saucisson et boire des litres de cidre avec les potes. J’ai répondu “oui” à chaque fois qu’on me posait une question. “Est-ce que vous sauvegarderez l’identité de nos régions face aux décisions Européennes ?” Oui. “Est-ce que vous êtes pour le commerce équitable ?” Oui. “Est-ce que vous participerez à la lutte contre le crime organisé et le terrorisme international ?” Oui.

Avec ça, j’ai obtenu 87% des suffrages exprimés. Et hop, me voilà parti vers la capitale, puis vers la Belgique. C’est pas si loin, la Belgique, et puis la région de Bruxelles, ça ressemble un peu à la Somme, sans la mer. Par contre, qu’est-ce que c’est grand ! Et qu’est-ce que ça pue ! J’habite dans une rue où il y a cinq boulangeries. Y a même des distributeurs automatiques de préservatifs devant les pharmacies. Les Belges, ils sont pas si mous que ça, ils klaxonnent à longueur de journée, ils roulent aussi vite que le chauffard de Grimont. L’autre jour, je me suis dit “Heureusement que les sœurs ne m’ont pas suivi jusqu’ici. Y aurait pu y avoir encore un malheur. Et je suis pas sûr que les pompiers de Grimont se déplacent jusqu’en Belgique”. Au moins, d’ici, je n’entends plus les “Ave Maria”. Il paraît qu’à Grimont, les sœurs continuent de venir sur mon trottoir. Elles attendent mon retour et prient pour qu’il ne m’arrive rien. C’est sympa.

Au Parlement, on décide des trucs qui concernent des centaines de millions de personnes. C’est pas du tout comme à Grimont. Quand on décidait de créer un poste de ramasseur de textiles, ça concernait une seule personne, le ramasseur de textiles. Et puis, il venait nous remercier, nous dire qu’il était content de son nouveau métier. Ici, à Bruxelles, on imagine pas qu’il y ait des centaines de millions de personnes qui viennent nous dire “merci”. J’ai plutôt l’impression que ceux qui se déplacent jusqu’ici, ils sont pas très contents. Pour voter, ça prend des heures. On doit être une bonne centaine. Personne n’est jamais d’accord. Il faut dire, s’ils parlaient tous la même langue, ça simplifierait les négociations. J’ai trouvé le truc pour me faire écouter. Je vais voir les parlementaires, je leur demande ce qu’ils prévoient de faire voter, je leur dis que je suis tout à fait d’accord avec leur loi et que je voterai “Oui” quand elle sera proposée. Après, je leur présente la mienne, et ils sont toujours d’accord avec moi.

Du coup, en même pas trois semaines, j’ai réussi à faire adopter mon plan des “centres villes sans voiture”. Franc succès. Tous les bourgs de plus de deux mille âmes doivent prévoir une déviation excentrée pour les véhicules à moteur, laissant ainsi les centres aux piétons et aux voitures électriques. Tous les pays ont cinq ans pour mettre en place le nouveau plan. Comme ça, à Bruxelles, on pourra respirer un peu. J’ai même cloué le bec à tous les opposants en leur disant qu’il fallait faire adopter une loi interdisant la construction de voiture à essence dans toute l’Europe. Comme ça, plus de tentation. Ils m’ont dit “Ah oui ? Et que ferons-nous pour subvenir aux besoins en électricité de quatre cents millions d’Européens ?”. Hé, hé. C’est que j’en connais un, moi, qui n’a pas besoin du nucléaire pour faire de l’électricité. Pas de déchets, pas de centrales hors de prix, pas de polémique autour de l’environnement ! Ils vont être content, les Hollandais !

J’ai pas mis longtemps à faire sortir Léon de prison. Vu que c’est le seul à connaître la formule avec le fromage de Hollande et le sucre, et qu’il avait prévu d’emporter son secret dans sa tombe, j’ai réussi à le faire venir au Parlement pour parler de son invention. Le problème, c’est qu’il était en prison pour un sacré bout de temps. Je suis allé à la commission des remises de peine. Ils se souvenaient bien de moi, mais ils ont quand même dû attendre la grâce présidentielle pour libérer Léon. Il n’y avait rien, rien du tout, pas même une seule parcelle de gentillesse et d’honnêteté dans le dossier de mon ami Léon. Vaut mieux pas savoir ce qu’il a fait, celui-là ! Ben, ils ont quand-même suivi l’ordre du Président. Ey, il faut dire que c’est pas n’importe qui. Et voilà que mon Léon, il est parti d’Amiens hier et il arrive aujourd’hui à Bruxelles.

Quand on peut aider, c’est bien, non ?

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Chapitre 6 – L’élu de Dieu

Six minutes. Top chrono. Et voilà ma rue envahie par les sirènes, les appareils photo, la paroisse de Grimont au grand complet, la police et le Maire. Tu penses, en période électorale, y a pas de petits événements pour les maires. Une barrière a été posée pour bloquer la rue. J’entends d’ici les voisins qui se demandent ce qui se passe “encore” chez Norbert. De ma fenêtre, je vois la jambe de la bonne sœur. Je savais pas qu’elles mettaient des collants, les bonnes sœurs. Le Maire discute avec les policiers. Derrière la barrière, les journalistes attendent de pouvoir bombarder de flashs la pauvre nonne qui n’a pas bougé depuis tout à l’heure. Je reconnais le père Ipate. Il interpelle les policiers en agitant son calepin. Certains m’ont dit qu’il avait fait tout un article sur moi dans son journal. Pas vu, je ne lis que les journaux qui parlent de puzzles. Bon, ce qui est bien, c’est que les pompiers ont pris leur lance à incendie. J’espère qu’ils ont prévu de nettoyer mon portail.

On amène la sœur au milieu du trottoir. Du coup, je la vois mieux. Et sa jambe, qu’est-ce qu’ils vont en faire, de sa jambe ? Le chef des pompiers demande à ses collègues d’éloigner le public. Il recouvre la sœur d’un drap blanc. Gloups. Elle est morte. La jambe est mise dans un sac-poubelle. Le gendarme approche de mon portail et me fait des grands signes.

Ey ! J’ai rien fait ! C’est pas vrai qu’ils vont encore m’accuser d’un meurtre que je n’ai pas commis. C’est la voiture, là ! En plus, les voitures, pour ce que j’en pense. Avant l’explosion de la maison, j’avais une Visa. C’est mon grand-père qui me l’avait donnée. Depuis qu’il était devenu aveugle, il s’en servait plus beaucoup. Quand je suis sorti la première fois avec, tout le monde rigolait. Même quand le gros Gilbert était resté coincé dans son tracteur au milieu du marché, je ne les avais pas vu rire autant. Simone me répétait tout le temps : “Ne te vexe pas”. Facile à dire, à chaque sortie, j’avais l’impression d’avoir une poule sur la tête. Je voyais les piétons se dépêcher de traverser en me voyant arriver. Et ces applaudissements, ah, ah, ah, très drôles, applaudir quand une Visa démarre, qu’est-ce que c’est drôle ! Je me réveillais la nuit avec des tambours dans la tête. Clap, clap, clap. Je partais à six heures le matin pour arriver au travail avant tout le monde. Clap, clap, clap. Le gardien de nuit. J’attendais 20 heures pour repartir. Clap, clap, clap. La femme de ménage. Et plus ça allait, plus j’entendais les gens crier “Ola” quand je passais. Le plus dur, c’était le jour où le gendarme m’a arrêté pour excès de vitesse. 70 km/h. Clap, clap, clap. Saleté de gendarme. Il en a parlé à tout le monde.

Du coup, démarrer la Visa était devenu tellement traumatisant que Simone avait caché les clés dans la cave. Marre des voitures, marre des moteurs, marre des explosions.

“Que pensez-vous de toute cette affaire, Norbert ?”

Marre qu’on m’accuse de meurtre, qu’on m’enferme dans des prisons, qu’on change mon papier peint, qu’on critique ma voiture, qu’on salisse mon portail, qu’on me dérange dans mes collages !

“Norbert ?”

Marre qu’on prenne ma rue pour un circuit automobile et mon trottoir pour une chapelle ardente, qu’on fasse des articles sur ma vie, que les pompiers ne viennent que chez moi, que Madame Urtin ne fasse pas son travail.

“Norbert, s’il vous plait, que pensez-vous de tout ça ?
– VOUS N’AVEZ QU’À INTERDIRE LES VOITURES DANS LES VILLES !!!!”

Silence. Qu’est-ce que je raconte, moi ? Je m’énerve, je m’énerve et je viens de hurler contre le gendarme. Oups. Il se tourne vers le Maire, lui fait signe. Le Maire passe mon portail en jetant un regard torturé sur le sang déjà sec de la sœur Béatrice. La foule s’approche déjà pour mieux entendre mon inquisition. J’espère qu’il n’y a pas de comparution immédiate pour tapage diurne.

“Hé, hé, bonjour, M’sieur le Maire.
– Vous venez de dire une parole digne d’un grand visionnaire, Norbert.
– Ah ?!”

Avec un badge “Votez pour moi”, les maires donnent toujours l’impression de s’intéresser de près aux problèmes des citoyens. Avec un peu d’expérience, ils peuvent même paraître sincères. Notre maire, il s’est fait élire six fois de suite à Grimont. Alors, de l’expérience, il en a. Sauf que depuis qu’il a mis le nouvel éclairage dans la salle des fêtes, on dit en ville qu’il est peut-être en train de laisser sa place au parti des vendeurs de fruits et légumes, représenté par le gros Gilbert. C’est qu’il est populaire, le Gilbert. Il a prévu des trucs pour les handicapées, pour l’accès des tracteurs au marché et tout plein d’autres trucs fort utiles. Clap, clap, clap. Dans la rue, la foule n’arrête plus d’applaudir.

” Seriez-vous prêt à faire partie de ma liste électorale, Norbert ?
– Ben, c’est à dire que…
– Ensemble, nous ferons de grandes choses. Écoutez les gens dehors, un seul mot dans votre bouche et ils applaudissent.
– Ben, d’accord, mais, plus de voitures dans ma rue, alors ?
– Promis, Norbert.”

Il se tourne vers la foule.

“PLUS DE VOITURES DANS NOS VILLES !”

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