Chapitre 12 – ONU soit qui manigance

Quand on voyage à travers le monde, on a vite fait de passer plus de temps dans les chambres d’hôtel que dans son propre lit, à tel point que le confort domestique, celui qui fait que “chez vous” ne peut pas être “chez un autre”, se symbolise dans n’importe quel verre à dent en plastique, dans n’importe quel tableau accroché à n’importe quel mur, et dans n’importe quel motif qui orne n’importe quel rideau. Quand je rentre à la maison, j’ai parfois même du mal à reconnaître mes propres serviettes tellement je me suis habitué à utiliser la petite serviette blanche bien pliée en trois au-dessus du bidet que l’on trouve dans toutes les salles de bain du monde entier. Heureusement, les amis les plus chers savent disposer, au milieu des normes touristiques, les petits signes qui font que, au premier regard, on s’approprie un espace étranger : un puzzle sur la table de chevet, une petite coupe de fraise soigneusement sucrée et un jeu de carte prêt à l’emploi. Merci, Maurice.

Rien de mieux pour se remettre d’un décalage horaire que de se plonger dans la réalisation d’un puzzle de cinq mille pièces. La concentration m’aide toujours à oublier le temps officiel, et deux petites secondes peuvent souvent paraître durer plusieurs minutes pour quelqu’un qui n’aurait pas la même notion du temps que moi. Pas facile, le puzzle de Maurice. Deux tours au bord de la mer. Dans ma courte visite en taxi, je les ai même pas vues.

– Salut, Norbert !
– Deux petites secondes, j’ai… Ey ! Maurice !
– Excuse-moi de te déranger, nous devons partir au siège de l’ONU. On nous attend à 2 pm pétantes. Hé, hé, je vois que tu as mangé toutes les fraises !

En moins d’un quart d’heure, le cortège officiel de Maurice réussit à faire ce que mon taxi a mis deux heures à parcourir. Pas le temps d’attendre avec le FBI. Tout va vite. Vite, on entre dans le bâtiment. Vite, on monte au sixième étage. Vite, on prend un café. Vite, on attend que la réunion d’avant soit finie. Le temps pour nous d’échanger quelques petites astuces politiques.

– … et, par exemple, quand on prend une décision comme “rétrécir un pays” ou “changer de langue dans un pays” ou “installer un restaurant à Moscou”, on prend l’argent du calepin et on voyage à travers le monde pour essayer d’offrir des contreparties. À chaque fois, ça marche.
– Sauf que, à chaque fois, vous avez besoin d’argent.
– Oh non, pas toujours. Des fois, on peut aussi créer des situations qui permettent de changer ce qui mettrait trop de temps avec une voie normale. Pour les opinions publiques, c’est mieux. D’ici, on peut tout changer. Tiens, regarde, à travers cette vitre, il y a les représentants de tous les pays du monde. Si tu en choisis un, même au hasard, je te promets que, dans moins d’une semaine, tu seras à sa place.
– Ouah… Et je pourrais être roi de France ?
– Euh, roi de France, c’est un peu plus long, il faut quand-même organiser un désordre social, un système politique inefficace, une grève générale, une aide britannique et une restauration du château de Versailles.
– Bon, laisse tomber. Versailles, c’est loin de tout.
– Regarde, et prends ton temps. Choisis-en un qui te plaît.

Dur, dur… J’avais jamais remarqué que le costume était si différent d’un pays à l’autre. La plupart, ce sont des costumes classiques, mais il y a aussi des turbans, des couronnes, des djellabas et des tuniques noires. Quitte à choisir, autant prendre un truc original, j’en ai marre, de mon costume trois pièces de député européen. Et puis, si ça ne me plaît pas, je reviendrai voir Maurice pour qu’il me remette à Bruxelles.

– Je prends celui-là, avec la robe pourpre.
– Pourquoi lui ?
– J’aime bien le pourpre.
– Tu te vois dans un immense palais, un jardin sublime, dans une ville qui regorge de ruines romaines, avec des gardes suisses et des touristes qui t’acclament ?
– Oh oui, oh oui, oh oui !
– T’es baptisé, au moins ?
– Ah, ne remets pas ça ! Tu sais bien ce qui s’est passé à ma première communion !
– Ah oui, désolé. Par contre, c’est un peu comme moi quand je suis devenu directeur du FBI, il faudra peut-être que tu changes de nom.
– Norbert, c’est le nom que ma mère m’a donné, et je ne le rendrai jamais.
– Comme tu le sens, on s’arrangera. Bon, ben… Laisse-moi quelques jours. Si je n’y arrive pas, je te donne ma recette de sucre. Je n’ai qu’une parole.
– Tu es un frère, Maurice.

Et le pape, à la suite d’un frugal repas, fut pris d’horribles et incessants maux de tête. Chaque fois qu’il se levait d’un fauteuil, il en tombait aussitôt, à tel point que les cardinaux durent faire appel à Handicap International pour offrir au souverain pontife un siège d’où il ne se lèverait jamais. Quelques jours plus tard, voyant que sa santé s’améliorait, un incendie se déclencha dans sa chambre, le brûlant au septième degré. En bandant le pape des pieds à la tête, le médecin oublia de laisser un trou pour qu’il puisse respirer. Et il s’éteignit sans douleur. Comme le veut la tradition, les cardinaux se réunirent pour élire le nouvel évêque de Rome. À la surprise générale, sans doute pour éviter toute querelle de chapelle, ils choisirent, pour la première fois, un homme issu de la société civile, français et populaire à la fois, qui prit, sans hésiter, le nom de Norbert 1er.

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