Chapitre 13 – Vatican III

Ce qui est bien quand on est pape, c’est que tout ce qu’on dit est tellement important, que personne ne peut discuter, contester, et revenir sur ce qui a été dit. Même pas le prochain pape. Ici, ça s’appelle “le dogme de l’infaillibilité” et depuis quelque temps déjà, le pape, c’est moi. À mon arrivée, tout le monde m’a bien expliqué ce principe qui fonde la responsabilité de l’Église tout entière. On m’a bien expliqué aussi que, si je souhaitais changer quoi que ce soit, il fallait passer par un collège de cardinaux, que j’organise un concile, que je traduise tout en cinquante langues, que je prévienne la presse, la radio et les États-Unis, et que je choisisse une date symbolique du calendrier Julien. C’est pas du tout comme au Parlement européen. Personne ne vote, mais tout le monde doit se mettre d’accord avant que je puisse parler à mon cher public.

Hé, hé. C’est que je suis un homme d’expérience, moi. Je sais comment avoir la paix avec les procédures les plus lourdes. Infaillibilité, me voici ! Et la première chose que j’ai choisi d’appliquer, c’est ça ! Dans mon premier discours, j’en ai profité pour annoncer que le pape, c’est-à-dire moi, devenait libre dans ses choix et dans ses décisions, qu’il n’aurait à présent plus besoin de toute cette procédure pour appliquer sa politique. Pour sûr, ils étaient pas contents, les cardinaux. Mais bon, ils pouvaient pas trop la ramener, ils m’avaient élu après tout.

Je me suis fait immédiatement pardonner en leur autorisant de se marier et de fonder des familles au sein même du Vatican. La politique familiale, c’était ce qu’il y avait de pire quand je suis arrivé. Et hop, la natalité de notre état explose, des crèches partout. Il va falloir faire des écoles, des lycées, des universités, des usines, des maisons de retraite. Quel boulot ! Depuis qu’ils ont leurs petites familles, ils me laissent un peu tranquille, les cardinaux. Je me suis organisé un emploi du temps allégé en annulant les homélies, les messes et quelques voyages inutiles. C’est que je ne suis plus tout jeune, moi, et le Parlement, ça m’a fatigué. Même plus le temps de faire des puzzles. Tant qu’à être le chef, autant avoir le temps de préparer une retraite paisible. Tiens, il faut que je pense à ça : dans mon université, la pratique du puzzle sera obligatoire, ça forme l’esprit, ça calme, c’est constructif. C’est pas comme le football !

Je me souviens du premier jour où je suis arrivé à Rome. Y avait un monde fou. Il faut dire qu’un pape qui se promène avec sa réserve d’Acétone, ça passe pas inaperçu. Je préfère garder un œil sur tout ça, c’est trop dangereux. Il y a assez d’Acétone ici pour faire sauter tous les fers à repasser du monde entier. Ah, ma pauvre Simone. C’est quand déjà, la Saint Simone ? Faudra lui faire un culte exceptionnel. Au Vatican, j’ai fait venir quelques amis : Léon, Justin et Pancho, le petit Mexicain. Maurice, il a préféré rester au FBI, mais il vient souvent nous rendre visite. Comme ça, il ne nous manque jamais personne pour une partie de belote amicale. Puzzle, belote. Jamais d’ennui au Vatican. Il ne reste plus que Dieu. J’ai chargé Justin d’aller le chercher. Ils devraient arriver d’une minute à l’autre.

“Mon très cher Norbert, je suis revenu d’Amiens,
Les nouvelles que j’apporte sont chargées de chagrin.”

Ah, ce Justin. Toujours en alexandrins. Quelle merveille !

“Tu connais l’activité principale de Dieu,
Qui consiste à trouver tout ce qu’on lui demande.
En cherchant l’impossible, il resta silencieux,
Et, seul, pour ne pas contredire la légende,
Il décida de laisser la vie s’échapper,
Hier, en se pendant aux barreaux par les pieds.”

Quoi ? Il est mort ?

“Oui, je le crains, mort et enterré ce matin.
La prison en suffoque d’avoir perdu son saint,
Et ceux qui ont toujours un objet introuvable,
Voient tous leurs désirs devenir insatiables.”

Oh… Merde, alors. Moi qui pensais qu’on se retrouverait tous ici. Quel coup ! Le pauvre ! Qu’a-t-on pu lui demander qu’il ne puisse pas trouver ? Il faut que le monde entier sache qu’il était un samaritain dévoué pour la cause des hommes. Il ne mourra pas dans l’oubli, celui-là. Il mérite une journée tout entière de deuil et de recueillement. Je vais faire venir les sœurs de Grimont pour qu’elles prient pour son âme. Elles auront même le droit de chanter. Vite, mon conseiller, par ici, j’ai quelque chose à dire au monde. Fais venir la presse, les touristes et le roi d’Espagne. Oh, puis non, ce sera trop long. Ici, c’est pareil que chez moi, il suffit que je me mette à la fenêtre pour que tout le monde s’agenouille. Allez, hop, à la fenêtre.

Pas manqué, y a toujours quelqu’un sur la place Saint Pierre. J’attends un peu que les journalistes allument leurs caméras. C’est cool, y a même le père Ipate, il va pouvoir faire un article, comme ça.

“Mes chers fidèles. Aujourd’hui, notre monde vient de perdre un être important. À un moment crucial de ma vie, il m’a aidé à trouver le chemin de la vérité. Grâce à lui, j’ai repris l’espoir de retrouver le bonheur d’une vie meilleure. Mais il a choisi de nous quitter et je veux que vous tous, vous preniez le temps de penser à lui toute votre vie pour le récompenser, dans l’autre monde, d’avoir servi son prochain. Mes chers fidèles, j’ai décidé d’assumer cette charge qui consiste à fleurir la mémoire des êtres les plus dévoués, pour qu’ils deviennent éternels. Je resterai silencieux le temps du recueillement, après ces trois mots que je dois vous dire et qui me font souffrir : DIEU EST MORT. Amen.”

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