Chapitre 7 – Léon de Bruxelles

Pouf, il s’en est passé des trucs depuis mon élection municipale. Le secrétaire général du Parti m’a demandé si je ne voulais pas participer aux prochaines élections européennes. Moi, je me suis dit, “ils cherchent encore un pigeon pour dépouiller les bulletins de vote”. Pas du tout ! Ils voulaient que je sois en tête de liste pour prendre un siège au parlement. Je leur ai dit, “mais je ne suis pas Belge et les Belges, ils ont leur Roi”. Alors, ils m’ont expliqué le coup de l’Union Européenne, du parlement qui décide tout, de l’euro et du contrepoids idéologique et économique que l’Europe représente face à la suprématie Américaine. Ouah ! Si Simone savait ça ! Je vais faire contrepoids avec des Américains ! Alors, du coup, j’ai accepté, et comme pour les élections municipales, je suis parti sur les marchés manger du saucisson et boire des litres de cidre avec les potes. J’ai répondu “oui” à chaque fois qu’on me posait une question. “Est-ce que vous sauvegarderez l’identité de nos régions face aux décisions Européennes ?” Oui. “Est-ce que vous êtes pour le commerce équitable ?” Oui. “Est-ce que vous participerez à la lutte contre le crime organisé et le terrorisme international ?” Oui.

Avec ça, j’ai obtenu 87% des suffrages exprimés. Et hop, me voilà parti vers la capitale, puis vers la Belgique. C’est pas si loin, la Belgique, et puis la région de Bruxelles, ça ressemble un peu à la Somme, sans la mer. Par contre, qu’est-ce que c’est grand ! Et qu’est-ce que ça pue ! J’habite dans une rue où il y a cinq boulangeries. Y a même des distributeurs automatiques de préservatifs devant les pharmacies. Les Belges, ils sont pas si mous que ça, ils klaxonnent à longueur de journée, ils roulent aussi vite que le chauffard de Grimont. L’autre jour, je me suis dit “Heureusement que les sœurs ne m’ont pas suivi jusqu’ici. Y aurait pu y avoir encore un malheur. Et je suis pas sûr que les pompiers de Grimont se déplacent jusqu’en Belgique”. Au moins, d’ici, je n’entends plus les “Ave Maria”. Il paraît qu’à Grimont, les sœurs continuent de venir sur mon trottoir. Elles attendent mon retour et prient pour qu’il ne m’arrive rien. C’est sympa.

Au Parlement, on décide des trucs qui concernent des centaines de millions de personnes. C’est pas du tout comme à Grimont. Quand on décidait de créer un poste de ramasseur de textiles, ça concernait une seule personne, le ramasseur de textiles. Et puis, il venait nous remercier, nous dire qu’il était content de son nouveau métier. Ici, à Bruxelles, on imagine pas qu’il y ait des centaines de millions de personnes qui viennent nous dire “merci”. J’ai plutôt l’impression que ceux qui se déplacent jusqu’ici, ils sont pas très contents. Pour voter, ça prend des heures. On doit être une bonne centaine. Personne n’est jamais d’accord. Il faut dire, s’ils parlaient tous la même langue, ça simplifierait les négociations. J’ai trouvé le truc pour me faire écouter. Je vais voir les parlementaires, je leur demande ce qu’ils prévoient de faire voter, je leur dis que je suis tout à fait d’accord avec leur loi et que je voterai “Oui” quand elle sera proposée. Après, je leur présente la mienne, et ils sont toujours d’accord avec moi.

Du coup, en même pas trois semaines, j’ai réussi à faire adopter mon plan des “centres villes sans voiture”. Franc succès. Tous les bourgs de plus de deux mille âmes doivent prévoir une déviation excentrée pour les véhicules à moteur, laissant ainsi les centres aux piétons et aux voitures électriques. Tous les pays ont cinq ans pour mettre en place le nouveau plan. Comme ça, à Bruxelles, on pourra respirer un peu. J’ai même cloué le bec à tous les opposants en leur disant qu’il fallait faire adopter une loi interdisant la construction de voiture à essence dans toute l’Europe. Comme ça, plus de tentation. Ils m’ont dit “Ah oui ? Et que ferons-nous pour subvenir aux besoins en électricité de quatre cents millions d’Européens ?”. Hé, hé. C’est que j’en connais un, moi, qui n’a pas besoin du nucléaire pour faire de l’électricité. Pas de déchets, pas de centrales hors de prix, pas de polémique autour de l’environnement ! Ils vont être content, les Hollandais !

J’ai pas mis longtemps à faire sortir Léon de prison. Vu que c’est le seul à connaître la formule avec le fromage de Hollande et le sucre, et qu’il avait prévu d’emporter son secret dans sa tombe, j’ai réussi à le faire venir au Parlement pour parler de son invention. Le problème, c’est qu’il était en prison pour un sacré bout de temps. Je suis allé à la commission des remises de peine. Ils se souvenaient bien de moi, mais ils ont quand même dû attendre la grâce présidentielle pour libérer Léon. Il n’y avait rien, rien du tout, pas même une seule parcelle de gentillesse et d’honnêteté dans le dossier de mon ami Léon. Vaut mieux pas savoir ce qu’il a fait, celui-là ! Ben, ils ont quand-même suivi l’ordre du Président. Ey, il faut dire que c’est pas n’importe qui. Et voilà que mon Léon, il est parti d’Amiens hier et il arrive aujourd’hui à Bruxelles.

Quand on peut aider, c’est bien, non ?

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