[#GRP] – L’autogestion d’un système de création totalement déconnecté des circuits commerciaux

Le 28 août 2012

Ma chère amie,

Je crois que je vais devoir brûler quelques étapes tellement tout ce que je découvre est riche, et je m’en rends bien compte à la difficulté que je rencontre pour seulement écrire un premier plan qu’il faudrait que je présente à Black Boy la semaine prochaine. Je sais déjà que les propositions qui se mettent en place ne pourront jamais convenir. Une littérature sacrifiée au nom de la Doxa. Qui suis-je, du haut de mon piètre parcours universitaire, pour me permettre une telle supposition ? L’idée de faire un plan conventionnel me tombe des mains, et je passe plus de temps à écrire mes récits personnels, car c’est une dynamique contre laquelle je n’ai pas envie de lutter : lire tous ces romans, auxquels s’ajouteront ceux que l’adorable biographe au sourire délicieux va me prêter toute cette fin d’année, me donne résolument envie de faire un push littéraire au cœur même du plus grand réseau d’écritures du monde entier : le WEB et toutes ses possibilités. Puisqu’elle avait tant à dire à son époque, publiant elle-même sa revue, n’aurait-elle pas utiliser tous les outils mis gratuitement à notre disposition pour diffuser son œuvre ? Je bondis chaque fois de ma chaise, extatique et fiévreux. Peu importe que l’université valide quoi que ce soit de mes trouvailles. Je comprends très vite ce qu’il faudrait faire de tout ce que nous sommes. Publier ! Faire part de ce qui me consterne dans tout ce qui m’entoure, à commencer par ces luttes insensées qu’on nous oblige de perdre parce que nous n’aurions pas le droit de dire. Et l’auteur ? Qui viendrait l’attaquer dans sa production dès lors qu’il fait fiction de la vie, dès lors que ce qu’il produit n’a d’autre nom que roman ou poésie ? J’ai beau m’être entouré de tous les pare-feux syndicaux et politiques, il n’y a pas d’espace de liberté plus grand que celui de la fiction, là où personne ne peut sortir la carte du politiquement correct ou du devoir de réserve. C’est un acte personnel, un droit inaliénable. J’ai déjà lancé auprès de mes camarades syndiqués l’idée d’un blog où seules les fonctions apparaissent, aucun nom, ni le leur, ni le mien, anonyme derrière un pseudonyme, où je constate qu’il se passe quelque chose de douteux au sein des communautés d’agglomération et qu’il faut que cela change, mais tu ne seras pas surprise : tous mes collègues sont en panique. Ils me disent de ne pas aller trop loin, ne veulent pas être associés à une signature collective. Je les place devant le seul moyen actuellement sans limite d’afficher nos revendications au public, et ils ne s’en saisissent pas. Le régime de la terreur est bel et bien installé. Et je n’évoque pas là l’obscur dix-huitième siècle. C’est là, c’est maintenant. On a plus que peur. On est terrifiés. Et je viens de lire en toutes lettres : on ne peut répondre à la terreur que par la terreur. Alors, je viens de constituer ma propre armée que je lance dès que tout sera prêt avec un calendrier précis et des bombes littéraires sans scrupule : un blog, bientôt des romans, tout ça sous un nom que personne n’aura jamais encore vu et qu’on n’associera à rien d’autre pour le moment qu’à un pauvre poète qui n’arrive pas à trouver d’éditeur, mais j’ai aussi de quoi m’aider d’un collectif. Je remets en mouvement le GRP. Comprenne qui pourra. Je ne doute pas que je rencontrerai rapidement quelques auteurs qui auront envie de me rejoindre, et ce sera ce que je préfère avant tout dans la vie : l’action.

Je me suis renseigné sur cette drôle d’abbaye où seraient consignés quelques textes non communicables. Ce sont pour moi, j’en suis sûr, comme ces textes fondateurs de doctrines pacifistes que l’on cache encore au public et que je suis allé dénicher dans les greniers de vieux militants du quartier. Je ne vais pas attendre d’avoir une bonne note à la Fac pour plonger dans l’inédit de la Pensée. Je ferai allégeance à cette confrérie feignant un subit attrait pour le fait religieux, car je comprends le biographe : il faut se plier à un dogme pour continuer la recherche. Je comprends que ce soit le pas qu’on n’ait pas envie de faire, la frontière qu’on n’ait pas envie de franchir, mais j’entends depuis quelques semaines déjà qu’il y a là une affaire de cet ordre. Je te l’ai même évoqué, je crois. Il faut y aller. J’ai pris rendez-vous pour une première rencontre, et je m’attends à quelques questions suspicieuses. Je m’entraîne. Vous ne serez pas déçus, chers frères, chères sœurs, qui que vous soyez. Je mangerai à heures fixes et ferai vœu de silence. Je viendrai faire quelques séminaires. Je découvrirai en même temps ce qui fut écrit jusqu’à la veille de ma naissance et ce que peut-être personne n’a encore étudié.

L’année qui se présente va être d’une grande intensité. Je reçois peu à peu les programmes de la Fac. Il y aura tout ça, aussi, à étudier, tous ces devoirs à faire, la confrontation de Rousseau et de Diderot à comprendre, la littérature contemporaine et quelques auteurs aux allures proustiennes, sans oublier l’anglais. Le format de tous les devoirs est quasiment le même : un sujet presque libre et un nombre de pages. C’est très bien. Tout ce que je cherche sera là, m’aidera à mieux formuler mon grand projet personnel : quitter les méandres administratifs dans lesquels je me suis embourbé. Nous venons de faire tomber une forme d’oligarchie qui a fait bien des dégâts dans nos filières territoriales et j’ai entendu la clameur du peuple à l’annonce des résultats. Elle venait de tous les quartiers, convergeait vers la place de la Bastille au son de la victoire, mais comme à la fin d’une guerre, certains que je fréquente au quotidien ne mesurent pas encore qu’il sera possible de rétablir quelques libertés qu’on nous aurait subtilisées à coups d’arrêtés municipaux et de réorganisations de service. Nous n’aurions qu’à nous soumettre à l’ordre précédemment établi, comme s’il n’était pas envisageable que cela soit radicalement transformé selon la volonté d’une majorité nouvellement nommée. Je sais bien que tout cela n’est qu’une tendance qu’il faudra apprendre à travailler durant ces prochaines années, mais je me réjouis tout de même d’avoir quelques arguments qui pourront toujours commencer par : « Ça suffit ! ». Ce que je trouve tout à fait symptomatique, c’est que la joie que nous avons ressentie dans les rues, je ne la ressens pas dans les bureaux où je travaille. J’ai l’impression d’être encore entouré de flics et d’espions en tout genre. On n’ose plus se référer en dehors du circuit hiérarchique qu’on nous a tracé. Force est de constater que l’administration a gagné du terrain et qu’il sera difficile de la déloger ou de la subvertir. Ça tremble encore. Je vois des visages glacés qui semblent se demander comment ils vont pouvoir faire à présent que l’arrogance du pouvoir a été retoquée. J’étais déjà effaré de vivre en direct un changement de régime. Cela s’était senti dès que ce fameux Président avait pris en charge notre administration quelques années avant son élection. Oui, le ton n’était plus le même. On nous sommait d’appliquer. C’était le principe d’une milice à secrets de fabrique. On nous plaçait un à un des échelons hiérarchiques sur la tête. J’avais repris des études littéraires pour, aussi, me doter de nouveaux diplômes et, pourquoi pas, partir vers d’autres circuits professionnels, quitter cet environnement sclérosant. Je n’en peux plus de devoir me taire. C’est aujourd’hui qu’il faut agir et mon auteure adorée va m’y aider incessamment.

J’aimerais aussi te prévenir d’un élément important avant même que quoi que ce soit advienne ces prochains mois ou ces prochaines semaines. Je t’ai désignée pour être mon alliée. Je vais te tenir informée de tout ce qui va se passer. Je n’ai aucune crainte que tu sauras rester discrète, et crois-moi sur parole : même sous la torture, je ne révèlerai jamais ton nom. Mon plan d’attaque sur le WEB est bien coordonné, mais je vais le peaufiner, le nourrir de ce que je vais trouver à l’abbaye. J’ai encore cette fébrile impression de ne pas être suffisamment formé pour me sentir légitime. Cela prendra peut-être un an, et j’entends déjà le paradoxe qui se profile au fil de ce message qui est aussi le fil de ma pensée. Il faudrait faire au plus vite, mais pour être pleinement opérationnel, il faudra aussi attendre le moment le plus juste ou l’outil parfait. Imagine que je naisse seulement aujourd’hui, qu’un auteur virtuel se mette à investir les réseaux sociaux dominants, laissant le temps aux moteurs de recherche de faire leur travail d’archivage et qu’un jour on ne trouve que ce que l’on doit trouver de moi, des romans virtuels et la pleine application de ce qui me semble être l’une des meilleures voies à explorer actuellement : l’autogestion d’un système de création totalement déconnecté des circuits commerciaux.

C’est totalement grisant.
Je suis prêt à me lancer dans l’aventure !

Mille pensées.

À suivre…


Si vous avez manqué le début

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