Chapitre 10 – Olivier 4

ACTION !

Ah, ah ! Ca fait tout drôle de voir son petit client habituel, celui qui dit toujours “Bonjour” poliment, celui qui vient toujours avant huit heures pour éviter la foule, celui qui prend toujours une baguette “normale”, qui s’est jamais intéressé à tes spécialités “maison”. Hein ? Ça fait drôle de le voir débarquer dès que tu ouvres la porte de la boulangerie alors que t’as encore la gueule enfarinée. Ah, ah ! La gueule enfarinée pour une boulangère, c’est le pied ! Et hop, que j’te pousse au fond du magasin. Pas le temps d’appeler à l’aide. Clouée sur place, la boulangère. Ah, ah ! Ça fait drôle, de se voir menacée par un type outillé d’un seul objet : une casserole. C’est pratique une casserole. D’un côté, ça peut servir de récipient pour recevoir toute sorte d’objet envoyé par l’ennemi. De l’autre, c’est plat. Idéal pour frapper. Quoi ? T’as l’air étonnée ? Qu’est-ce que tu pensais ? Que le contrôleur il allait pas faire son enquête personnelle ? Que j’allais te laisser faire du chantage à un pauvre père de famille qui s’est offert une partie de jambes en l’air avec une fraîche demoiselle ? JALOUSE ! Ils sont où, les sous ? Laisse-moi chercher. Allez, pousse-toi.

“Mais, Monsieur, laissez-moi, je vous en supplie. Ma fille a été assassinée, mon mari s’est suicidé, je suis en deuil, laissez-moi tranquille. Prenez la caisse, si vous voulez.”

Corruption. Méthode classique. Et vas-y que j’essaie de t’amadouer avec la famille. C’est trop gros ton histoire, j’y crois pas. Comme si c’était l’argent de la caisse qui m’intéressait. C’est la cagnotte que je veux voir. Tu me prends pour un con, ou quoi ? Ey ! Je suis pas né de la dernière pluie. Les placards : vides. Les coffres à bijoux : vides ! Et les fausses factures ! Hein ? Et le coup de fil anonyme ? Il était mort, le coup de fil anonyme ? MENTEUSE ! Paf ! Et hop ! Un coup de casserole. Je suis tranquille pour quelques minutes.

Petit tour rapide des locaux. Sous le four. Rien. Sur l’étagère, derrière le radiocassette pourri. Rien. Dans les bonbons. Rien. Dans la farine. Rien. Allez, hop, à l’étage. Chambre. Sous le lit. Rien. Dans les armoires. Rien. Dans le placard des chiottes. Rien. La chambre de Mathilde. Rien. Ah, ah ! J’en étais sûr ! Toutes les petites affaires sont rangées. Prête à partir ! Putain, où sont les sous, où sont les sous !

“Monsieur, je…”

Aaaaaah ! La boulangère ! Elle est coriace, dites donc ! Redescends ! J’en ai pas fini avec toi. Allez, oust ! File dans ta boutique !

“Monsieur, je vais appeler la police !”

Non mais, c’est qu’elle me menacerait, la boulangère. Vas-y que je te l’attrape par les cheveux et que je te la traîne dans sa boutique. Hystérique, va ! Les femmes, c’est toujours pareil, dès que tu les attrapes par les cheveux, elles se roulent par terre, elle crie comme des sauvages. Tant pis pour toi, tu aurais pu rester digne, je te traînerai jusqu’en bas par les pieds. Bing, paf, paf ! Et hop, la tête qui rebondit sur les marches de l’escalier. Pose-toi là, et bouge plus !

“Je… je…”

C’est ça, je quoi ? Je m’excuse pour les fonds publics que j’ai détournés ? Je demande pardon au petit inspecteur que j’ai pris pour un con en essayant de faire des fausses factures ? Je vais tout vous expliquer sur le chantage que j’ai fait au pauvre père de famille ? Je quoi ? Il en a marre, l’inspecteur, d’être obligé de faire des formations avec le service des douanes pour déceler les crapules de ton genre. Il en a marre de se lever plus tôt parce que t’es pas capable de faire suffisamment de pain pour tout le monde. Il en a marre de voir défiler les propriétaires, de les voir s’engraisser sur le dos des clients et de les voir partir après. Vous êtes pires que les garagistes, parce que, en plus, vous êtes aimables ! Vous affichez toutes les petites annonces sur la caisse enregistreuse, vous affichez les fêtes de quartier, les rencontres paroissiales. Tout le monde vous confie ses petits secrets et après, c’est le chantage ! Tu devais payer pour tous les autres. Tu devais être l’exemple monstrueux que le canard local aurait pris en une de ses faits divers. “La boulangère qui faisait du chantage auprès des habitants du quartier vient de se faire épingler par le fisc”. Grâce à ce gros coup, j’aurais eu ma promotion, à l’heure qu’il est je serais ministre des finances. Mais non, rien ! J’ai rien trouvé ! Rien d’illégal, rien de suspect. Les comptes tenus au centime près, pas d’épargne, pas de maison de campagne, pas de voiture de luxe, pas de stage de voile, pas de soins esthétiques. Rien ! Y avait même un surendettement à la banque ! Non mais, je rêve. Ils sont où les sous ?

“LAISSEZ-MOI TRANQUILLE !”

Ah, ah, je m’en doutais. Elle attaque avec les religieuses. Hop ! Dans la casserole. Tarte aux fraises, pains au chocolat, sacs en plastique. Hop, hop, hop. Retour à l’envoyeur ! Ah, ah, ah ! C’est qu’elle a pas de casserole, la boulangère. Elle est douée avec les comptes, mais elle a pas de casserole. Et hop ! Dans la tête, les religieuses. Ah, ah ! Tu fais plus la même tête, hein ? Tu crois que je vais pas riposter ? Hop, hop, hop ! Sucettes, chocolats de pâques, peluches dans la vitrine. Dans la tête ! Et ça, là, ce machin à vieilles pour mettre les parapluies mouillés, ce machin dans lequel j’ai toujours eu envie de cracher mon chewing-gum. Hop ! Dans la tête ! PAF ! PAF ! PAF ! VIVE LES CASSEROLES !

C’est ça, pleure ! C’est toute ta faiblesse qui remonte, tous les remords, toute la honte. Regarde comme tu es belle, avec du chocolat partout. Bah, allez, tu me dégoûtes. J’me casse. Démerde-toi avec ta conscience ! Je crois qu’elle va être fermée un bon bout de temps, la boulangerie, et pour une fois, t’auras une bonne raison.

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