[MATP] – Offrir aux charognards de la démocratie un nouvel os à ronger

Ainsi fut appliquée la première phase de ce grand plan d’attaque, et tout le monde, en partie, plus encore que ce que le Général Popov avait imaginé, fut ravi de la situation. Le bureau de Tartinello fut fermé pour rénovation, et l’homme déjà fort atteint des multiples destitutions qu’il avait subies venant d’en haut, venant d’en bas, prit enfin les rênes de son avenir : chercher tranquillement un poste pour mutation définitive et préparer des vacances bien méritées. Madame de La Porte et Mademoiselle Sitruck nageaient dans leur fonction comme poissonnes dans l’eau pur d’un lac bordé de monts et merveilles, fleuri et ensoleillé. Elles trouvaient enfin l’interlocutrice idéale, agent administratif qui adorerait les listes et les tableaux, les statistiques et les dénonciations. Oh, vous savez, balançaient-elles désormais sans scrupule, celui-ci manque à tous ses devoirs. Il nous grappille chaque semaine un quart d’heure. On peut lui demander de nous aider à la mise sous pli. Il nous doit bien ça. Et celle-là ? Ahahah ! Elle arrive en retard et part en avance. Osez l’application de la loi. Moins 10% de temps de travail chaque année. On verra si elle ne se décide pas à changer de comportement ! De leur côté, la majorité des Druides avait crié victoire. Le Général était bien au placard. C’était le fruit de leurs prises de parole et la signification que le contre pouvoir qu’ils exerçaient au sein de l’Institution pouvait malgré la pression autoritaire renforcée avoir encore quelques conséquences sur le terrain. La plupart, désormais, sillonnait dans les couloirs et ré-apprenait à parler haut et fort. Voyez comme nous avions raison ! Et les adhésions ne cessaient d’entrer dans les caisses. Oui, ils avaient réussi, à nouveau, là où les valeurs démocratiques se travaillent réellement, à l’abri des presses nationales, dans le silence de la territorialité. La toute puissance avait courbé l’échine. Il lui faudrait repartir de presque zéro en prenant en compte les forces en présence. Dès la première semaine, les Druides avaient pris rendez-vous avec la nouvelle Directrice administrative. Alors, nous sommes d’accord : réunion des deux Conseils, trois fois l’an pour l’un, cinq fois l’an pour l’autre, coordonnés par une équipe collégiale dans l’attente de la nomination d’un Super Directeur. Vous vous occuperez des listes de course. La satisfaction d’un travail rondement mené avait éveillé en eux une forme d’arrogance qui allait leur faire oublier, en effet, comme le Général l’avait prédit, de s’intéresser de plus près aux véritables arcanes du pouvoir, ces rendez-vous et ces rencontres auxquels ils ne seraient jamais invités, car la nouvelle Directrice administrative avait beau assumer le rôle qu’on lui avait assigné d’être présente pour accuser les coups, elle finissait toujours ses journées au siège social du Parti pour établir des rapports, et forte des propos qui lui étaient naïvement adressés, elle mit en place ce qui allait bientôt s’imposer à tous sous le célèbre adage : c’est la demande des Élus. Elle avait pour cela deux moyens d’action : la commission et l’audit. Très vite, elle se rendit compte qu’avec une commission, elle ne pourrait se permettre de faire l’économie d’une représentation quelconque tant les Druides étaient aguerris à l’exercice. L’audit avait l’avantage de pouvoir être commandé par une société privée. Son analyse serait rendue publique en temps et en heure. La décision politique s’en nourrirait. Aussi fit-elle assez vite pour l’annoncer dès les Conseils suivants. L’audit allait neutraliser une partie des décisions le temps que le Cabinet rende ses conclusions, puis alimenter l’écriture du nouveau projet d’Établissement que le nouveau Super Directeur aurait mission de mettre en œuvre.

Tout semblait presque honnête. Seul l’un des Maîtres d’armes s’inquiétait de cette mesure qui excluait de fait certains corps de métier d’être représentés. Il allait falloir imaginer comment contrer les décisions qui seraient proposées. Seul le principe de consultation allait l’aider. Il s’engagea dans cette nouvelle lutte : Chère Madame, si votre cabinet a mis en place un audit, c’est qu’il a pour mission de vous rendre quelques éléments de réflexion qu’il faudra transmettre à l’ensemble des services internes avant de le rendre public. Oui, oui, bien évidemment, c’est ce qui est prévu. Vous aurez les documents en consultation suffisamment à l’avance pour émettre votre avis. Oui, mais quand ? Cela fait plusieurs semaines que vous travaillez d’arrache-pied et, permettez-moi cette incise, obscurément, et nous n’avons toujours rien vu venir. Nos travaux ont été commandés par les Élus qui sont en droit de faire le point sur quelques applications techniques liées à leur responsabilité. Il n’y a qu’à ces commanditaires que nous devons des retours. Ces informations leur appartiendront. Ils choisiront la forme et la cadence de leur diffusion interne. Sur ce point, il n’y a pas de droit particulier que vous pourriez nous demander de respecter. C’est leur droit privé. Ils ont payé.

Ainsi la tonalité des échanges dévoilait qu’un grain de sable était en train de s’immiscer dans l’engrenage. L’audit, — et la Directrice administrative se demanda si le valeureux Maître d’armes ne l’avait pas pressenti —, n’était qu’un mot-valise pour autoriser l’administration à faire silence de son action. Il n’existait aucun conseil, elle n’aurait aucun compte-rendu, et pourtant il arriverait le jour où elle imposerait des mesures au nom de ces fictives conclusions qu’elle rédigeait avec l’aide précieuse des stratèges politiques du Parti. Alors, elle garda son sourire de façade, mais la main qu’elle tendait à tous en arrivant ou en partant, devenait de plus en plus molle. C’était le signe que son assurance faiblissait. Elle n’avait pas la poigne de fer que le Grand Nicolas infligeait à tous ses collaborateurs prouvant son invacillante foi. Ah ça oui, elle se sentait bien seule, sur le terrain, et elle n’allait pas supporter longtemps d’assumer la responsabilité d’une destruction massive sans l’appui d’un pouvoir hiérarchique. Il fallait convaincre de vite procéder au recrutement du Super Directeur. Elle aurait le pouvoir de le mettre sous tutelle le temps que l’idée fumeuse de l’audit prenne racine dans l’élaboration du processus, et elle n’aurait plus à devoir répondre de son action politique devant ce petit peuple à qui elle ne devait rien, car cette administration-là, sur ce territoire-là, tel qu’elle l’avait compris et accepté en s’engageant auprès du Grand Nicolas, n’avait pas pour mission de se mettre au service de la proposition populaire, mais bien de bâtir le rempart d’une ambition personnelle dont elle jouirait elle-même du rayonnement lorsque le tapis rouge serait déroulé devant la porte du plus fastueux des palais pour accueillir le nouveau règne de l’absolutisme. C’était, après tout, sur l’illusion qu’il fallait continuer de travailler et offrir aux charognards de la démocratie un nouvel os à ronger la laissant, elle, libre d’articuler tout ce qui était à sa disposition pour profiter d’un temps législatif échappant à toute conscience individuelle, fût-ce-t-elle hautement syndiquée. Elle demanda la publication imminente d’une annonce de recrutement. Et factum est ita. Marc arriva dans l’arène.

À suivre…


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