Travelling parmi la foule d’un RER bondé. Focus sonore, au passage, sur quelques mots échappés, dans des langues chaque fois différentes, du petit groupe de touristes aux valises énormes, à celle qui téléphone le visage tourné vers la vitre, aux airs que l’on devine d’un casque d’écouteurs, les quelques travailleuses, un autre homme, téléphonant, puis des corps silencieux, regards plongés dans le paysage urbain défilant, ou dans un livre, ou sur une application, ou au hasard, dans la foule. Par chance, c’est un Non stop. Il n’y aura qu’une seule annonce. Pour l’aéroport d’orly… en français, en anglais, en espagnol. Voix mécaniques qui tombent au bon moment d’enceintes saturées. Le RER s’arrête. L’auteur descend. Il passe à côté d’un grand écran indiquant les prochains départs de bus. Plus de dix minutes d’attente. Il ira à pied. Il fait beau. La place de la gare est en travaux. On entend à nouveau ce que fut ce trajet, dans l’autre sens, qui donna lieu à Urbanity, les motos, les pas dans la rue, parfois le vent s’engouffrant dans les rues étroites, et les discussions partielles, les rires, les mendiants qui interpellent, le son d’un saxophoniste de rue et peu à peu, le calme d’une banlieue charmante, peu à peu les oiseaux. La caméra passe du ciel aux arbres, des maisons, puis suit une voiture, entre dans un grand parc ensoleillé avec des centaines de rosiers généreusement feuillus qui attendent leur temps pour fleurir. L’auteur s’assoit sur un banc. Il ouvre son cahier d’écriture. On n’entend plus que les oiseaux et le pas cadencé de quelques joggeurs. La voix de l’auteur, en off.
Il y a longtemps que je pensais à ce que pourrait être une suite de l’Artisanat furieux qui s’était naturellement terminé avant que je fasse parcourir le temps de sa diffusion complète un autre projet que j’avais, et que j’ai appelé [NO WAY], réservé pour mon blog, et dont les épisodes étaient volontairement publiés dans le désordre, pour perdre le lecteur, l’inciter à chercher, à reconstituer, ou pour me montrer au fur et à mesure de son écriture, cette impasse dans laquelle je voulais voir naître une histoire, sans heurt, sans haine. Je voulais, en quelque sorte, donner vie à ce qui n’avait pas eu lieu dans l’Artisanat, la parole unique d’un « je » poétique, entre les lignes d’éléments factuels, s’inspirant du réel et de la temporalité de ma vie pour faire émerger des formes que je ne lis nulle part. J’avais aussi envie de faire vivre la Maison d’édition virtuelle, de lui donner une activité de diffusion qui ne soit pas seulement ce pour quoi elle avait été créée, de mettre à disposition d’un public des textes littéraires sous la forme de livres. Les livres, qu’ils soient les miens ou qu’ils soient ceux des autres, m’accompagnent tous les jours. Ils sont une ponctuation du vivant, mais ils ne sont pas seuls. Nous sommes conduits dans d’autres formes de lecture et d’écriture, dans les journaux que nous lisons ou que nous écrivons, dans les réseaux virtuels que nous consultons ou que nous animons. Je ne change pas beaucoup, de ce point de vue. Ce qu’est Direct Live est à la croisée de tout cela : un peu de moi et du monde qui m’entoure, pour continuer.
Il ferme son cahier. La caméra suit lentement un couple de marcheurs silencieux. S’affichent en gros plan le titre de ce nouveau roman virtuel, et une information : « À partir de demain sur le WEB », puis on entend une pièce pour piano de Brahms sur la dernière image : « @rycholiver.org avril 2019 ».