Troisième partie

Essai numéro 3 : Aujourd’hui, j’ai acheté un nouveau micro-onde. Le vendeur m’a assuré que les grille-pains waterproof, ça n’existait pas, et qu’il était inutile que j’en cherche dans d’autres magasins. Je ne l’ai pas cru, et j’ai fait tous les magasins de la ville pour en trouver. Au trente-troisième magasin, le vendeur m’a confirmé que je pouvais nettoyer le grille-pain avec un tissu légèrement humide, mais qu’il ne fallait pas plonger les micro-ondes dans les éviers pleins d’eau. Je lui ai demandé si le fait que l’eau soit chaude ou froide avait une quelconque importance. Le signe qu’il m’a fait avec l’un de ses doigts devait signifier que non, et il est parti. J’ai quand-même acheté ce grille-pain. Je suis passé devant la grille d’un jardin privé où un chien s’est mis à hurler en me voyant. J’ai attendu au coin de la rue pour qu’il se calme, puis je suis repassé devant la grille. Il a hurlé à nouveau. Il faut passer deux cent quarante-six fois devant la grille avant que le chien arrête de hurler. J’ai sympathisé avec le chien, et nous avons discuté pendant deux bonnes heures. Au début, je ne suis pas sûr qu’il comprenait mes aboiements, mais finalement, en faisant un petit effort, nous nous sommes compris. Il m’a pissé dessus en guise de reconnaissance, puis je lui ai pissé dessus en guise de reconnaissance. Nous nous sommes pissés dessus en guise de reconnaissance au moins dix-sept fois. Le chien lève la patte et pisse par à-coups. Moi, je ne lève pas la patte et je pisse plus longuement. J’ai dû boire de nombreux litres d’eau pour assurer mes tours de pisse. Heureusement, il y avait beaucoup d’eau dans le caniveau. J’ai tenu jusqu’au bout et le chien est rentré chez lui à coups de latte dans le cul parce que son propriétaire en avait marre qu’on se pisse dessus. J’ai regardé dans les poubelles de déchets recyclables pour voir si personne ne s’était trompé. Sur trois poubelles, j’ai trouvé deux fers à repasser, douze boîtes à pizza, trente-deux bouteilles d’eau écrasables écrasées et dix-sept bouteilles d’eau écrasables non écrasées. J’ai écrasé les bouteilles d’eau écrasables non écrasées. J’ai trouvé des lettres déchirées, en mille morceaux. J’ai réussi à reconstituer la correspondance recyclée en assemblant les morceaux. Jeannine a passé ses vacances en Lozère et elle remercie un certain Paul d’avoir su attendre si longtemps. Dommage qu’il ne faisait pas beau en Lozère et qu’en ces temps d’occupation il soit si difficile de trouver du sucre et de la farine. Paul n’a pas vraiment attendu. Il est désolé, mais il a fait sa vie avec une autre. Elle attend un enfant pour le mois de mars. Il espère que ce sera un garçon, comme ça, il pourra l’appeler Henri, comme son père. Jeannine est désespérée, mais elle comprend. Elle lui souhaite une longue vie avec l’autre et son enfant. Il y a un poème de Verlaine. En fait, il n’y avait pas mille morceaux de papier mais seulement deux cent treize. J’ai fait un tas avec les morceaux, puis j’ai soufflé dessus. J’ai suivi deux jolies dames qui sortaient du vidéoclub. Elles ont vu un film qui leur a beaucoup plu, surtout la scène où Bruce Willis se rend compte qu’il est mort. Elles sont entrées chez l’épicier parce que l’une d’entre elles n’avait plus de shampooing. Elles sont restées sept minutes chez l’épicier, puis elles sont ressorties avec une baguette de pain, quatre yaourts “nature” et une bouteille de shampooing. Isabelle assure qu’elle ne retournera plus jamais chez Monoprix depuis qu’un vigile suspicieux a fouillé son sac à main à la sortie du magasin, et Fanny ne jure que par les produits Yves Rocher. Ensuite, nous sommes allés nous promener dans le parc. Nous avons fait deux fois le tour du lac, et nous avons mangé une glace. Nous sommes rentrés en bus parce que nous étions fatigués. Nous avons laissé Fanny en bas de chez elle en décortiquant de fond en comble le programme de la journée de demain : piscine, acuponcture, coiffeur, visite de ma vieille tante. Puis, nous nous sommes regardés longuement. Une fois que Fanny avait disparu dans son ascenseur, nous avons continué à marcher jusqu’à chez Isabelle. Au coin de la rue, elle s’est mise à courir, alors j’ai couru aussi. Nous avons couru ensemble pendant de longs kilomètres, et au passage des rares piétons, elle hurlait “Arrêtez cet homme !”, et moi “Arrêtez cette femme !”, et nous sommes allés comme ça jusqu’au commissariat. Isabelle est arrivée la première. Elle a pu entrer. Pas moi. Alors, j’ai compté le nombre de voitures de police qui stationnaient en face, sur des places réservées. Il y avait cinq voitures sur les places réservées aux handicapés, deux sur les places “livraison” et une sur le passage piéton. J’ai essayé de déplacer les voitures. Aucune n’a bougé, même avec les coups de pied. Je suis allé frapper à la vitre du commissariat. Personne. Au bout de quelques minutes, une autre voiture de police est arrivée, toutes sirènes dehors. Je me suis caché dans une benne à ordures pour voir où elle allait se garer. Elle s’est mise carrément en travers de la route, et les policiers ont commencé à chercher une place à la torche. Ils ont même regardé sous les voitures. Ils n’en ont pas trouvé, alors, ils sont entrés dans le commissariat, et sont ressortis au bout d’un quart d’heure avec Isabelle. Elle s’est engouffrée dans la voiture et ils sont partis. Je suis rentré chez moi. Il y a cinq mille trois cents pavés dans la rue piétonne du vieux marché. J’ai mis dix-sept minutes pour aller jusqu’à la Poste en courant, et trente-deux en marchant tranquillement. Il y a sept lampadaires qui ne marchent pas en face de l’église. J’ai fait un tas avec tous les mégots que j’ai trouvés devant le tabac, puis j’ai soufflé dessus.

Sept minutes.

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