[DIRECT LIVE] – 013

Il avait fallu légèrement se soumettre à une nouvelle disposition, et pour être très honnête, non seulement elle ne me déplaisait pas, mais en plus, je l’acceptais comme elle venait, comme un souffle, comme une marée plus forte, une lune plus rapide. Il n’y avait rien d’autre à en dire. Tout avait été repositionné. Autant le temps que l’argent. C’était nouveau. Je ne comptais plus. J’étais revenu à cette période heureuse où je savais vaguement de combien je disposais, mais n’étais plus obligé de faire tous les soirs des calculs improbables tentant de me ramener à une réalité économique du système dont, de toute façon, je resterais longtemps exclu, car j’avais beau y avoir cru un jour, nous n’étions pas sur les mêmes économies. Il était temps de se défaire de ce qui était toujours apparu comme un problème. Je ne m’enrichissais pas. C’était comme ça. Pas de patrimoine. Pas d’héritage. Ne plus s’angoisser sur ce point avait libéré d’autre secteur d’activité que je trouvais, pour le coup, plus lucrative. Au fond, j’aimais parler de cela. En faire un sujet récurrent. Une opposition en cours d’expression dans tous les domaines de mon existence. Oui, l’argent était un problème. Il l’avait été et l’aurait toujours été si je n’avais pas appris, intellectuellement, à posséder à nouveau les termes « investissement », « patrimoine », « héritage ». Ces termes avaient une fonction sociale. Et de tout à coup m’en sentir concerné m’avait en quelque sorte réhabilité. Pour moi-même. C’était l’essentiel. Je n’avais besoin de rien d’autre à ce moment-là de la vie. Je savais, après tout, et je le savais depuis longtemps, sans l’avoir ni considéré ni intégré consciemment. Mon héritage était fabuleux. Mon patrimoine, riche. Mon investissement, permanent et osé. Ce qui en découlait était la qualité. Je n’avais jamais conçu qu’on puisse se passer de l’essentiel, qu’on puisse l’effleurer, qu’il ne soit pas l’objectif d’une seule vie, chacun son tour, main dans la main. Une chaîne de l’humanité, de corps en corps, se laissant le temps de découvrir l’autre, puis de l’amener, doucement, dans son environnement. Je n’avais pas conçu les guerres, la concurrence, la malveillance. Tout cela m’avait saisi, en plein cœur. Sur certains points, me sentant privilégié, né au bon endroit à la bonne époque. Sur d’autres, c’était la consternation. Je luttais malgré tout, croyant encore que nous étions tous constitués de la même manière, jusqu’à peu à peu reconnaître les signes de ces maltraitances de l’être, au cœur de l’âme. Nous différions. J’avais beau en rencontrer de plus en plus, c’était la même consternation, un abattement moral, et ces mots, « encore », voyant se dessiner la duplication d’une même tendance. On ne voulait que profiter. Nous ne partagions rien. Dans la rue, nous croisant, nous serions restés étrangers. Le jour d’une grande bataille, nous nous serions combattus. C’était la guerre, partout, « encore », la guerre d’un nouveau siècle, les combats meurtriers loin de nos frontières, mais la haine, toujours, la même que j’avais lue, nous ne serions pas tous présents le jour de gloire. Ils ne seraient que quelques-uns, et on aimait ces héros, ces élus, ceux qui remplissaient les stades ou explosaient l’audimat.

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