[DIRECT LIVE] – 018

Je sais que je n’ai aucune place dans un roman. On ne parle jamais de gens comme moi. Si je vous racontais pourquoi, instantanément, j’ai eu envie de partir avec vous, vous perdriez toutes vos chances d’être élu romancier de l’année. C’est ça, ne raconte pas. Déjà que c’est difficile à suivre parce que les dialogues n’ont pas la forme traditionnelle, alors si tu rajoutes une histoire à dormir debout, on ne va pas s’en sortir. Il faut quelque chose de simple dans la trame. Et puis, ne pas oublier que ce qui fait la teneur d’une histoire, c’est la combinaison, la rencontre entre des personnages à l’énergie potentielle surdimensionnée. Quoi, genre Siouper Hiro ? Non, genre le mec qui sort de prison et qui a réuni cinq euros pour passer toutes ses fringues à la machine à laver, assouplissant compris. Il est hyper content. Ça fait des jours que ça ne sort pas de sa tête. Pas un rond pour bouffer, tant pis. L’urgence, c’est que ça pue. Il pue. Il y fout ses baskets. Il est en chaussettes et il est content. Ça va, ça pue pas trop ? Si, ça pue. Ça pue la vieille fringue pourrie et le corps pas lavé depuis plusieurs semaines. Le mec a des dents défoncées, mais il sourit. Et il le dit comme un aveu, tout de suite, pour que les choses soient claires. Je sors de prison. C’était peut-être la première fois qu’il y allait. Du coup, peut-être la première fois qu’il en sortait. La première fois qu’il se rend compte qu’au moment où il en a le plus besoin, y a plus personne, plus d’amis, plus de famille. Ne reviens jamais. Sa mère lui claque la porte au nez. Putain, on fait comment ? Dans la jungle. Le marché est saturé. Pas un poste qui ne soit pas occupé. Tu rentres dans une rame, y a un qui sort et un autre qui attend. Bonjour, excusez-moi de vous déranger, j’ai vingt-cinq ans (toujours mentir sur l’âge), j’ai un enfant en bas âge, il me manque quelques euros pour me payer une chambre d’hôtel (toujours mentir sur le montant), mais lui, il ne cherche pas une chambre d’hôtel, il veut juste quelques euros pour laver ses fringues. Il en a marre de puer. Ça peut toujours commencer comme ça une histoire. Quelque chose qu’on n’attend pas. On fait tout comme d’habitude, c’est lundi, c’est mardi, c’est jeudi. Et puis il y a irruption. Deux personnages se rencontrent. Ça ne va pas durer longtemps, mais l’histoire est tissée. Ayé. On y est.

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