Il suffit de dire non

– Je vous ai envoyé une invitation à laquelle il serait sage de répondre.

Sinon, quoi ?

Vous allez m’envoyer des gens masqués-casqués frapper à ma porte pour me demander ce qu’il en est de mon devoir envers la société ?

Ce qui est drôle, vous savez, c’est la mémoire.
La mémoire immédiate.

Lorsqu’il a été question d’envoyer tout le monde au gnouf pour contenir la colère sociale grandissante face aux multiples ajustements ne prenant en compte que l’aspect économique et votre désir de maintenir votre autorité en place, on a vite adapté les conditions de travail. Certains ont même eu des ordinateurs pour travailler à la maison. Et nous, rien.

Aujourd’hui, coup de panique dans le labyrinthe de la bêtise, on élabore des plans impossibles à réaliser et comme un merveilleux retour de bâton, on se demande si nous ne sommes pas payés à rien foutre. Alors, c’est parti : bombardement de quelques menaces à l’ancienne.

Je n’ai pas de smartphone pro, ni d’ordi pro, ni de connexion à je ne sais quoi pro. Désolé. Et puis j’ai peut-être le moral dans les chaussettes, parce qu’à chaque fois qu’une ligne s’ajoute aux mots d’ordre, il y a la mention « sauf vous ».

Tout pourra reprendre comme avant.
Sauf vous.

La mémoire immédiate.
Un peu plus lointaine, cette fois.
(J’ai bonne mémoire)

Ça commençait toujours par « pour des raisons de sécurité », vous ne pouvez rien faire en dehors du règlement imposé, salle imposée, horaires imposés, salaire imposé, efforts consécutifs envers la société, imposés.

Plus de dix ans de gel de salaire.
On a froid.

Et puis, la crise budgétaire, prétexte à tous les avis non favorables. D’année en année.

– Vous faites un travail formidable. Avis non favorable.

Au début, on rigolait.
Au bout de quelques années, à peine un sourire dans les couloirs.

J’ai signé un contrat sur lequel il est stipulé que je dois faire quelque chose de précis. Si vous n’êtes pas en mesure d’assurer cette activité, ce n’est pas de ma faute.

Il suffit de dire non.
La première fois, puis toutes les fois.

C’est une grève inédite.

Ne vous inquiétez pas, nous travaillons.

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Citoyen au rapport !

Nous avions déjà les audits et maintenant pleuvent les rapports. Visio-conférence au sommet du pouvoir. Allons-y. Le test grandeur nature. Qui est prêt à se soumettre ? Sur qui l’ère autoritaire peut-elle compter ?

Nous ne sommes pas tous dans le même panier et nous aurons à travailler pour que des salariés précaires ou des salariés légalement soumis à la loi d’un patron du type si t’es pas content dégage le soient moins.

Question pénible au demeurant : à qui je dois l’argent qui arrive quoi qu’il arrive ?
Au peuple.
À qui je dois des comptes ?
Au peuple.

Qui peut se mettre en grève générale ?
Le peuple non soumis à la loi d’un patron du type si t’es pas content dégage.

C’est un progrès non négligeable depuis l’artisanat furieux. Le pouvoir autoritaire affaibli se retrouve comme une asperge sèche devant les salariés chez eux, dans une situation inédite : payés, sans plus aucun lien hiérarchique avec celle ou celui qui tient la répartition d’une partie de notre richesse nationale. Les plus pénibles encore, ces salauds de fonctionnaires et ces salauds de syndicats, saisissent leur chance. Cela doit durer tant que ça peut tenir. Oui, l’économie est bloquée et cette fois-ci : la faute à qui ?

Alors, il faudrait nous remettre dans le rang. La hiérarchie déstabilisée veille malgré tout. Ça commence par « j’espère que vous allez bien », puis « ne vous considérez pas en vacances », puis « visio-réunion à 10h30 », puis « au rapport ! ». Ils sont inquiets. Qu’ont-ils fait pendant ces longues semaines ? Quand est-ce que je pourrai à nouveau leur signifier qui est le patron en face à face dans mon bureau avec les avis favorables et les avis non favorables ? Le chef de service bien formé au rapport mais qui jusqu’à présent l’envoyait vers le haut tente le tout pour le tout. « Au rapport ! ». Vers le bas. Les moutons bien gardés, heureux de se faire fouetter, seront sans doute tous là. « J’ai fait ça et ça et ça et ça et ça et ça, plus du visio-zèle auquel tu ne t’attends pas. »

Félicitations, agent mouton. Vous aurez une promotion.

Devant le vide dû à leur fonction, les chefs de service espèrent que nous allons nous sacrifier. Que nous allons de nous-mêmes mettre fin à cette situation. Ils espèrent que nous aurons ce sens du devoir sur lequel ils travaillent depuis que la hiérarchie autoritaire cherche par tous les moyens à maintenir les révolutionnaires dans la case des gens pénibles qui ne font que râler.

Pourtant, ça a toujours été comme ça, et notre discours n’a pas changé : Qui c’est qui bosse, en vrai ? Qui c’est qui remplit consciemment la caisse avec ses impôts et ses taxes ? Qui c’est qui peut formuler des exigences à celles et ceux qui sont placés là-haut pour nous administrer ?

Le peuple encore.
Oui, celui qui est non soumis à la loi, etc.

Nous sommes en arrêt et nous comptons les morts. La fameuse « guerre » a été déclarée unilatéralement et aujourd’hui le maquis est immense, sur tout le territoire. Les résistants à l’œuvre avec personne dans un rayon d’un kilomètre pour leur tirer une balle dans la tête. C’est une chance inespérée. Nous la devons, d’ailleurs, aux exigences que nous n’avons jamais lâchées.

Tant que la loi ne change pas, nous avons ce pouvoir.

Alors, le voici mon rapport : « tout va bien, merci ».

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C’est un peu l’autogestion de la misère démocratique notre affaire

De ces phrases toutes faites que l’on entend de la bouche d’une catégorie A de la fonction publique territoriale : « je ne suis pas chargé d’évaluer mes élèves ».

Alors, prenons au mot la situation.

Je n’évalue pas ?
Quand il tremble,
Quand il ne peut pas,
Quand il n’a plus envie.

Je n’évalue pas. Je ne vois pas.

Quand il n’a plus envie de se coller au code qu’on lui impose, le fameux « cadre », vous savez, la consigne, le nombre d’années pour y arriver, le cursus obligatoire avec disciplines obligatoires et bientôt la tenue obligatoire.

— Les gens réclament de l’exigence. Il faut être un peu sérieux. Attention, dans six mois, c’est dangereux. Encore un faux pas et dehors.

Que sont ces « centres de formation » qui ne garantissent pas à l’élève d’aboutir :
– à son niveau ?
– à son désir ?

Qu’est-ce que c’est ?
Un centre de rétention ?

— On appelle ça « prévention ».

Pour des raisons de sécurité.
On connaît la chanson.
Si tout le monde faisait comme lui, on en aurait plein les rues. Et puis, c’est bien connu aussi : la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Alors, tais-toi, s’il te plaît, avec tes revendications de liberté. Mieux vaut le marasme dans lequel on est, dans lequel on peut venir gueuler auprès du Manager et obtenir tout ce qu’on veut plutôt que les réunions à deux balles où on décide d’une action commune.

— Le rapport avec le sujet ?

Oh, il y en a un.
Ténu.

Ça commence le matin devant la glace. J’en ai marre. Tous pourris. Et la vieille du troisième. Et le chien d’à-côté. Et la radio, les accidents, la météo, le ministre de l’économie, blablabla, les grèves dans les transports, la coupe du monde de football. Vingt ans d’études pour un salaire de merde, et faut encore répondre aux mails. M’en fous. Ce matin, c’est ma dernière réunion. Après, j’arrête. C’est fini. Basta. La plage et les palmiers.
« De toute façon, ça ne changera rien »
J’arrive à la réunion et y a encore l’autre syndiqué, là, qui a changé de crèmerie parce qu’il trouvait qu’on était un peu mou du genou.
— Ben oui, j’aime bien rappeler en public que nous aurions à nous ressaisir de notre capacité de représentation, parce que pour le moment, c’est un peu l’autogestion de la misère démocratique notre affaire.
Autogéré comme autoflagellé.
« C’est une question de personne »
— Donc, si c’est une question de personne, bon prince ou tyran, nous voici en autocratie.
Avec tous ses avatars :
1. Opacité ;
2. Inégalité de traitement ;
3. Messages larmoyants de celui qui fait tout pour nous, vous comprenez, je remue ciel et terre.

Alors, on dit : nous n’avons qu’à instituer un autre fonctionnement, dire que nous nous sommes réunis et que nous avons désigné un représentant.
— Donc ça veut dire qu’on entre en guerre contre lui ?
Non, ça veut dire qu’on lutte contre notre besoin de lui, notre besoin qu’il soit source ou cause de tous nos problèmes. Depuis deux heures que nous sommes là, nous n’avons parlé que de lui. C’est comme à la télé. À cause du Président. Scandaleux. Une voiture de fonction ! Avec notre argent ! Et la mini-jupe ! Scandaleux ! On dit que c’est lui qui institue tout, mais de l’institution, qu’a-t-il vraiment créé ? Il n’était même pas né. Qui l’a mis là ? Qu’est-ce qui le maintient quoi qu’il fasse ? Parce que c’est vrai, je vous l’accorde, il a l’air important. Tout semble dépendre de lui. Quand il entre dans une pièce, les faibles tremblent et les forts restent polis. Pourtant, au fond, il n’est là, comme nous, que pour garantir qu’un service est bien tenu, qu’il y a égalité de traitement, du chauffage à tous les étages. C’est un peu militaire, mais je préfère le nom de « chef de service » à celui plus contemporain de Manager. Et puis, c’est notre acceptation qui le rend si puissant. Notre soumission pour certains. Notre collaboration pour d’autres. Il n’y a qu’à voir comme il agit. Il n’est pas si curieux. Il ne va pas au bout du texte, parce que, entre nous, s’il l’avait fait, il nous aurait trouvés, débusqués, amputés. Virés.
— Imaginez qu’il désigne un incompétent ! Ou un sous-fifre !
Et pourquoi le ferait-il ?
Puisque c’est nous qui allons le faire.
En élisant.
On va lui dire : voilà, nous n’acceptons plus d’attendre dans le couloir que la décision tombe comme un couperet. Des vies entières en dépendent. À certains âges, c’est terrifiant. Déjà, c’est difficile partout, et là où il devrait n’y avoir que du plaisir, c’est encore la sanction. Tout semble arbitraire. Injuste. Et après je ne saurai pas contre qui exprimer ma haine. Je le ferai au hasard des rencontres dans la rue. Peut-être une vieille, peut-être un flic, peut-être ta bagnole, connard.

Alors, en effet, nous allons prévenir. Protéger nos enfants. Et nos collègues aussi. Nous allons prendre le taureau par les cornes et nous imposer dans la course aux projets et la course aux budgets.

Combien y a-t-il d’argent, déjà ?

— Mouhahaha ! Vous ne le savez même pas.

Il est temps d’agir sur le structurel.
Dès maintenant.

Ci-joint un cadre.

Point barre.

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