[DIRECT LIVE] – 002

Il semble que je réponde à une question qu’on m’aurait posée, mais vous l’aurez compris, c’était juste pour entrer en conversation avec vous. Un début comme un autre, me direz-vous. J’aurais pu commencer par la description du ciel que j’ai vu ce soir en rentrant. Il était majestueux. Je me disais : « Tu dois être là, quelque part, mais on ne te voit pas ». Je parlais à la lune. De la lune. La nouvelle lune de ce mois. Une nouvelle entrée dans l’existence, comme à chaque fois, puisque je suis désormais réglé comme une plante verte sur son cycle insaisissable avec le peu de connaissances que j’ai en astronomie (j’ai même un doute sur ce mot). Je ne comprends pas pourquoi elle est parfois plus loin, plus près. Pourquoi elle va plus vite. Pourquoi je la vois toujours le jour durant sa croissance, la nuit lorsqu’elle est pleine, puis la nuit encore, jusqu’à disparaître, se faire si discrète qu’on l’oublierait, alors qu’elle agit encore, qu’elle agit, bien évidemment, celle qui fait les marées et tant de miracles, sans rien toucher, sans rien prévoir, sans jamais rien savoir, même, de son extraordinaire puissance.

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[DIRECT LIVE] – 001

— Oh non, ce n’est pas nouveau. J’ai toujours un peu fait ça. Enfin, toujours, vous comprenez, depuis que je sais écrire. Enfin, surtout, depuis que je sais lire. Toutes les étiquettes des produits entreposés sur la table de la cuisine y passaient. Du début à la fin. Il fallait que j’aie tout lu. Je ne sais pas pourquoi. Tous les jours. Tout lu. Il me fallait imaginer à partir de ce qu’était la réalité, et ce que j’avais devant moi ne pouvait que le représenter. Cela ne pouvait pas être différent, ou plutôt, cela ne pouvait pas avoir un lien avec l’invisible qui me contenait. Oui, je sais, c’est paradoxal. Ce que je voyais en permanence ne semblait pas exister. Personne ne le voyait. Personne, autour de moi. Ce n’étaient pas des monstres hantant les cauchemars. C’était une énergie, quelque chose qui m’englobait entièrement. J’en sortais, pour ainsi dire, par les yeux. Ils étaient ma porte de sortie. Ainsi, je me disais : ces mots que je sais déchiffrer maintenant vont me dire l’essentiel. Ils vont me dire ce qu’il faut faire. Ils n’ont pas été déposés sur une bouteille de lait par hasard, ni sur une boîte de cornflakes sans intentions précises. Ça m’informe. Et puis, il y avait le journal quotidien, avec ses dizaines de pages. Je le lisais quand mon père le déposait quelque part dans l’appartement en rentrant du travail. Le soir, donc. Mieux que la télé. C’était la vie qui m’entourait. Ce qu’il y avait de l’autre côté de la porte, à l’extérieur des frontières. L’actualité. Je ne me suis jamais demandé si j’y comprenais quelque chose. C’était évident. Évidemment que je comprenais. C’était comme une histoire. Voilà ce qui vient de se passer et ce qui se passera sans doute bientôt, avec la météo et l’horoscope du jour, deux vérités desquelles je n’ai jamais douté. Aussi ne faut-il pas s’étonner si parfois je plonge encore dans le journal. C’est ainsi que je perçois le monde. Celui que je lis aujourd’hui n’a plus ni météo ni horoscope. En fait, je ne sais pas trop. Peut-être y a-t-il encore la météo. Je sais mieux sentir le temps qu’il va faire, et puis, il y a Google qui m’informe des changements importants, du type « stay dry » quand il va pleuvoir, « enjoy the sunshine » quand il va faire beau, deux ou trois degrés d’écart par rapport à la veille. Je m’en fiche un peu. C’est mon côté marin d’eau douce. On verra bien dans une heure. Si j’ai chaud, j’enlèverai mon pull, et s’il pleut, ben, voilà, c’est con, c’est terriblement con, mais je serai mouillé.

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[TEASER] – DIRECT LIVE

Travelling parmi la foule d’un RER bondé. Focus sonore, au passage, sur quelques mots échappés, dans des langues chaque fois différentes, du petit groupe de touristes aux valises énormes, à celle qui téléphone le visage tourné vers la vitre, aux airs que l’on devine d’un casque d’écouteurs, les quelques travailleuses, un autre homme, téléphonant, puis des corps silencieux, regards plongés dans le paysage urbain défilant, ou dans un livre, ou sur une application, ou au hasard, dans la foule. Par chance, c’est un Non stop. Il n’y aura qu’une seule annonce. Pour l’aéroport d’orly… en français, en anglais, en espagnol. Voix mécaniques qui tombent au bon moment d’enceintes saturées. Le RER s’arrête. L’auteur descend. Il passe à côté d’un grand écran indiquant les prochains départs de bus. Plus de dix minutes d’attente. Il ira à pied. Il fait beau. La place de la gare est en travaux. On entend à nouveau ce que fut ce trajet, dans l’autre sens, qui donna lieu à Urbanity, les motos, les pas dans la rue, parfois le vent s’engouffrant dans les rues étroites, et les discussions partielles, les rires, les mendiants qui interpellent, le son d’un saxophoniste de rue et peu à peu, le calme d’une banlieue charmante, peu à peu les oiseaux. La caméra passe du ciel aux arbres, des maisons, puis suit une voiture, entre dans un grand parc ensoleillé avec des centaines de rosiers généreusement feuillus qui attendent leur temps pour fleurir. L’auteur s’assoit sur un banc. Il ouvre son cahier d’écriture. On n’entend plus que les oiseaux et le pas cadencé de quelques joggeurs. La voix de l’auteur, en off.

Il y a longtemps que je pensais à ce que pourrait être une suite de l’Artisanat furieux qui s’était naturellement terminé avant que je fasse parcourir le temps de sa diffusion complète un autre projet que j’avais, et que j’ai appelé [NO WAY], réservé pour mon blog, et dont les épisodes étaient volontairement publiés dans le désordre, pour perdre le lecteur, l’inciter à chercher, à reconstituer, ou pour me montrer au fur et à mesure de son écriture, cette impasse dans laquelle je voulais voir naître une histoire, sans heurt, sans haine. Je voulais, en quelque sorte, donner vie à ce qui n’avait pas eu lieu dans l’Artisanat, la parole unique d’un « je » poétique, entre les lignes d’éléments factuels, s’inspirant du réel et de la temporalité de ma vie pour faire émerger des formes que je ne lis nulle part. J’avais aussi envie de faire vivre la Maison d’édition virtuelle, de lui donner une activité de diffusion qui ne soit pas seulement ce pour quoi elle avait été créée, de mettre à disposition d’un public des textes littéraires sous la forme de livres. Les livres, qu’ils soient les miens ou qu’ils soient ceux des autres, m’accompagnent tous les jours. Ils sont une ponctuation du vivant, mais ils ne sont pas seuls. Nous sommes conduits dans d’autres formes de lecture et d’écriture, dans les journaux que nous lisons ou que nous écrivons, dans les réseaux virtuels que nous consultons ou que nous animons. Je ne change pas beaucoup, de ce point de vue. Ce qu’est Direct Live est à la croisée de tout cela : un peu de moi et du monde qui m’entoure, pour continuer.

Il ferme son cahier. La caméra suit lentement un couple de marcheurs silencieux. S’affichent en gros plan le titre de ce nouveau roman virtuel, et une information : « À partir de demain sur le WEB », puis on entend une pièce pour piano de Brahms sur la dernière image : « @rycholiver.org avril 2019 ».

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ZONE D’UTILITÉ LITTÉRAIRE – 22 FÉVRIER 2019 à 20H00

Je serai l’invité de la prochaine Zone d’Utilité Littéraire qui se tiendra au Pas si Loin (1, rue Berthier – Pantin) à 20h00.

Nous y parlerons de mon dernier livre, L’intimité n’a plus de lieu possible, et vous y entendrez une nouvelle séquence de Grande Balade, avec Claudine Hunault, d’après le roman poétique d’Hélène Bessette.

Tenez informés vos amis en téléchargeant le flyer ou en partageant le lien de cet article.

Au plaisir de vous y retrouver.

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L’intimité n’a plus de lieu possible en vente dans la boutique @rycholiver.org

Poussons les meubles, la boutique s’aggrandit, avec l’arrivée très attendue en cette fin d’année de mon premier roman poétique, L’intimité n’a plus de lieu possible, le second livre des éditions @rycholiver.org que vous pouvez commander ici.

Je suis très heureux de m’être lancé dans l’exercice de ce genre et que ce soit le livre avec le « L » de LIFE qui paraisse à la fin de cette année 2018 durant laquelle, vous le savez, nous avons commémoré le centenaire de la naissance d’Hélène Bessette à qui je dois très assurément tout ce qui se passe de nouveau dans ma vie littéraire depuis que j’ai rencontré ses romans.

Pour celles et ceux qui auraient oublié de commander mon précédent ouvrage, j’ai inventé un extraordinaire FULL PACK grâce auquel vous pouvez commander l’intégralité de mes livres pour la modique somme de 20 EUR. Il suffit d’aller sur cette page et de vous laisser guider.

Je remercie à nouveau Phiip des Éditions Lapin et l’admirable Gaspard qui m’a aidé à corriger le texte.

BONNE LECTURE

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L’intimité part s’imprimer

Bon, je ne sais pas si au bout du vingtième livre, on finit blasé au point de ne plus être attentif aux étapes de leur conception, mais au deuxième, l’émotion est encore si intense que je ne peux pas m’empêcher d’exprimer ma joie lorsque le fichier définitif part… À L’IMPRESSION !!!

Bientôt, donc, dans vos bibliothèques, le nouveau livre des éditions @rycholiver.org : L’intimité n’a plus de lieu possible (1).

La quatrième de couverture ? La voilà :

« Nous allions plus loin encore, sans trop savoir pourquoi, en partie pour se surprendre, changer d’horizon, de style peut-être. Comme à chaque nouveau commencement, nous entrions dans le labyrinthe des sujets épuisés, des autres, convoqués, des tiroirs s’ouvrant et se refermant, où l’inconstance devenait source de création, préférée à la fuite, à la perpétuation d’une démence incontrôlée. »

En attendant, et si vous ne l’avez pas encore, vous pouvez vous procurer Vue sur le cimetière suivi de Vortex Temporum et la première des Nouvelles RochoisesChoquito.

Tout est dans la boutique en ligne.

(1) « L’intimité » pour les adeptes du raccourci clavier.

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[MATP] – Ce qui le conduirait toujours à devoir affronter les inéluctables obstacles de ses improbables projets

Il était rentré de l’école et, comme à son habitude, il avait sagement pris son goûter avant de se mettre consciencieusement à son bureau pour préparer les devoirs du lendemain. Vers 18h30, sa mère rentrait à son tour d’une journée bien remplie et c’était souvent le moment du verdict. Si en passant le pas de la porte elle lançait un hystérique « Maaaaaarc, es-tu rentré ? Descends vite que je te raconte quelque chose d’incroyable ! », c’est qu’elle était joyeuse. Il savait que se préparait une soirée fort agréable et lâchait tout ce qu’il avait à faire pour venir l’accueillir en bas de l’escalier. Elle allait lui raconter toute sa journée sans oublier aucun détail. Tous les collègues allaient y passer un à un et, après un long fou rire auquel Marc se joindrait sans se forcer, elle allait prendre enfin des nouvelles de la journée de son fils. Ç’allait être reparti pour de longs fous rires, car Marc, sachant sa mère disposée à entendre qu’il suivait son chemin, allait dresser à son tour un portrait acerbe de son maître, puis de tous ses camarades de classe. Par contre, s’il n’entendait rien d’autre que la porte se fermer, — et c’était là tout ce qu’il redoutait —, il attendait un peu le temps de rassembler quelques souvenirs avant de la rejoindre même s’il savait que ça n’allait jamais être le moment de parler de quoi que ce soit. Descendant ces fois-là à pas de velours, il trouvait sa mère affalée dans le canapé, sirotant déjà un de ces cocktails qu’il n’était pas encore autorisé à goûter. C’est lui qui engageait alors la conversation par un timide « Ça va ? » et elle semblait toujours surprise que quelqu’un vienne interrompre son immense solitude, donnant toujours l’impression qu’il lui fallait quelques secondes pour se souvenir qu’elle avait même jamais eu un fils qui aurait pu la soutenir dans ces moments de profondes dépressions.

— Oh, Marc… Tu es là… Viens t’asseoir, mon lapin. Je suis passé devant le centre social et j’ai repensé au premier jour où j’ai rencontré ton pauvre père. Je sortais d’un rendez-vous avec une assistante. J’étais si démunie. Je n’avais plus rien. Je m’étais assise sur un banc et ton père était venu m’offrir une cigarette. En quelques minutes, je lui avais raconté tout ce qui s’était passé ces dernières années, depuis mon enfance si malheureuse, alors que j’avais fui ces parents qui m’avaient battue et séquestrée. En partant loin d’eux, j’étais persuadée que j’allais enfin réussir à refaire ma vie, mais tout était allé de travers. D’abord, ma tante, qui m’avait promis de me recueillir, m’avait vite fait comprendre que j’allais être un poids chez elle, car elle envisageait de nombreux voyages avec un nouvel amant. Il fallait qu’elle loue son appartement et je ne pouvais rester que quelques semaines. Ensuite, tous les petits boulots que j’avais entrepris pour subvenir un peu à mes besoins n’avaient été qu’une longue liste d’échecs. Je voulais à tout prix réussir à me payer des études pour avoir une situation, mais tous mes patrons n’avaient qu’une seule envie : me maintenir dans le cynique harcèlement sexuel qu’ils faisaient subir à toutes leurs nouvelles employées. Je ne pouvais supporter ces nouvelles violences. Dès que l’un d’eux s’approchait de moi, je rentrais paniquée et je ne revenais pas le lendemain. Ton père avait écouté toutes mes aventures avec beaucoup de mansuétude. Il m’avait proposé de me laisser une petite place dans son minuscule salon. Là, j’allais prendre tout le temps qu’il faudrait pour me remettre de toutes ces émotions. Trois mois plus tard, nous étions mariés.

Marc était arrivé dans leur vie quelques années plus tard, à une période où les jeunes mariés partageaient un bonheur qu’ils n’avaient jamais imaginé possible. Le récit familial s’interrompait souvent là, quelques minutes qui semblaient interminables. Il manquait toujours les mêmes éléments qui auraient permis à Marc de comprendre pourquoi son père n’était plus là. Il n’osait pas poser de questions. Tout devenait alors entrecoupé de longs soupirs. « Il a bien fallu que je me débrouille seule, à nouveau ».

Ah… Son père… L’avait-il vraiment connu ? Il en avait un souvenir, c’était certain, mais il se rendrait compte plus tard que sa mémoire n’avait été nourrie que des quelques photographies qu’il avait trouvées au fond d’un carton à l’âge de quatre ou cinq ans lorsqu’il cherchait un jouet que sa mère avait arbitrairement remisé au grenier. En voyant ce bel homme fier de montrer sa nouvelle voiture, il s’était dit qu’il lui ressemblerait et l’avait supposé militaire mêlant sans doute son propre désir d’être au sein d’un corps défendant celui qui peu à peu gravirait les échelons d’une saine hiérarchie.

Toujours moqué parce qu’il était trop grand pour son âge, Marc cherchait par tous les moyens à se rendre utile. Ses différents instituteurs l’appréciaient, car il était le premier à lever la main pour aller répondre au tableau, réciter une poésie, ranger la classe, mais il avait beau vouloir bien faire auprès de ses camarades de classe, on continuait de le surnommer Grand dadais, Fanfaron ou même Frankenstein durant la période où la puberté avait recouvert son front d’un champ de sébum prêt à ruisseler. Il ne désespérait pas qu’on reconnaisse sa vaillance, et se présentait chaque année à l’élection des délégués de classe où il ne recueillait jamais qu’une seule voix : la sienne. Il entreprenait pourtant d’admirables campagnes, rédigeant des projets de rénovation dans la classe, rappelant qu’il serait celui qui défendrait les plus démunis, qu’il aiderait les cancres (qu’il appelait « les pauvres »). Malgré toutes ces promesses, la classe en préférait toujours un autre, plus populaire que lui, pour des raisons qui lui échapperaient toujours, et dans la cour, comme sur les plages, il se retrouvait irrémédiablement seul. Alors, son projet de devenir soldat s’était peu à peu construit. Après les scouts, il serait au service de la Patrie. S’engager, s’engager. Et il s’engagea tant qu’en effet il gravit rapidement les échelons de la hiérarchie militaire, constamment au bord de devenir à son tour Général, bloqué aux portes du pouvoir suprême par son passé psychologique qui le rangeait inévitablement dans la catégorie des personnalités dont on avait clairement besoin mais à qui on ne pourrait confier de trop importantes responsabilités tellement on ne savait pas pourquoi il avait cette tendance à vouloir s’immoler chaque fois qu’il fallait défendre un intérêt supérieur qui ne lui apporterait aucune satisfaction personnelle.

Sa mère, vieillie et ravagée par l’alcool, qui le voyait rentrer, Tanguy, ses bottes crottées, le sourire béat d’annoncer qu’il allait être enfin promu tellement il s’était démené, murmurait ce désolé Pauvre Marc devinant qu’elle-même ne pourrait rien contre ce qui le conduirait toujours à devoir affronter les inéluctables obstacles de ses improbables projets.

À suivre…


Si vous avez manqué le début

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[#GRP] – Jamais le texte ne vous a désignés

Le 21 septembre 2012

Ma chère amie,

C’est déjà la fin du premier séminaire. J’ai opté pour une sorte de plongée d’une quinzaine de jours qu’il faudra que je prenne en compte durant toute mon année universitaire. Ce ne sera pas trop difficile d’y être, surtout qu’ici, une fois que tu as fait allégeance au mode de fonctionnement, tu fais partie des murs et on te demande vite quand est-ce que tu reviens. Je ne me suis pas vraiment fait d’amis même si je suis peut-être un peu moins sauvage qu’au début, peut-être plus confiant. Je suppose qu’il y a toujours ce petit bizutage propre aux milieux fermés qui, à force de l’être, se supposent privilégiés ou détenteurs d’un savoir que d’autres n’auraient pas et qu’on viendrait distribuer au compte-gouttes. Je n’arrive pas encore à comprendre pourquoi, au XXIème siècle, il doit être si obscur d’obtenir un accès à ces sources. Elles seraient protégées, mais de quoi ? Quel serait le risque que chacun en dispose ? C’est souvent une question que je me pose quand je découvre des voies de recherche et de travail : quelle serait l’humanité si, au lieu de lui servir la soupe des interprétations diverses, variées et malheureusement quelquefois trompeuses, on lui donnait accès au kit de textes fondateurs qu’on irait puiser selon la spécialisation qu’on choisit en la pressentant plus proche de nos compétences ou de notre désir de faire avancer un domaine. Parce que, sur un point, je suis d’accord : on ne peut pas tout savoir sur tout et il ne s’agirait pas d’avoir un avis sur tous les sujets. Des pans entiers nous échapperont toujours soit qu’ils sont hors de nos frontières personnelles, soit qu’ils sont tellement vastes que leur traitement est confié à d’autres catégories humaines. Je n’ai pas honte de ne rien connaître du football ou de l’agriculture. Ce serait ça, l’au-delà de mes frontières personnelles, par exemple. De même, je délègue une partie de mon action à des Institutions auxquelles je participe en votant. De ce côté, je ne ferai jamais la révolution sociale tout seul, mais je mets le poids de mon vote dans la balance, et ça marche de ne pas se sentir dépossédé de son choix. La dernière élection a prouvé que je n’étais pas dans les courants majoritaires, alors je me dois d’agir où je le peux, à commencer par mon territoire accessible, mes compétences abordables. Je vois bien, par exemple, comment au fur et à mesure de mon parcours professionnel, je continue de m’abreuver à des sources qui me fournissent chaque fois de nouveaux accès. Ce que je ne comprends pas, — et je vais revenir ici autant de fois qu’il en sera nécessaire pour épuiser le sujet —, c’est pourquoi on maintiendrait une partie des informations sous silence. Ce n’est pas que la puissance d’ayant-droits cherchant à ne pas être pillés. Ce que je découvre a une autre teneur. Oui, des romans contiennent des actualités qu’une forme institutionnelle a écartées. Au placard. Aux archives. Tant qu’il n’y a pas de procès, il n’y aura pas de problèmes. Tant que personne ne s’en saisit, on continuera à fonctionner comme on a toujours fonctionné ou à devenir ce qu’on a toujours souhaité pour une partie de la société : faire partie de la classe dominante, celle qui distribue les richesses, celle qui décide si tel ou tel a le droit. Comme pour l’humanité, que seraient-elles, ces institutions, si tout était disponible aujourd’hui, si tout était étudié, si tout était commenté ?

Je constate que depuis que je suis arrivé ici, mon écriture a changé. Elle a changé d’objectif (mais ça, je crois que quelques livres avaient suffi à l’orienter déjà différemment), mais elle a aussi changé de contenu. Ma conviction se raffermit, et je n’en suis plus à vouloir m’insurger dans les journaux qu’on a peut-être enterré une auteure un peu trop tôt, lui réclamant justice. Je vais l’utiliser comme je suppose qu’elle aurait aimé que je le fasse en toute connaissance de cause. Puisque notre travail est le même. Nous écrivons. Apprendre à mieux se diffuser pour y intégrer des thèmes qu’on aimerait voir ressurgir dans la vie. Au lieu, de fait, de me rapporter à une pensée élaborée quelques dizaines d’années avant ma naissance, en la citant par exemple, en la nommant, je laisserai courir mon intuition pour être présent dans la sphère poétique. Mon alliée n’a finalement pas été oubliée, puisque je l’ai trouvée. Le chemin aurait pu être tout autre, mais elle était là, disponible, comme une clé, comme une bouteille à la mer, comme toutes les tentatives d’espèces vivantes qui lancent dans leur environnement une option pour une amélioration qu’elles ressentent nécessaires. On a besoin de ce recul temporel. Oui, d’accord, dans le tumulte de ces milliards de pensées qui agissent et s’expriment en même temps avec la même urgence de survivre, de s’étendre ou de se défendre, il y a celle qui servira de socle à quelque communauté nouvelle, et si j’en deviens le relai, tout fait sens dans mon périmètre accessible, autour de moi, ma famille, mes voisins, mes collègues, et quelques présences silencieuses qui auront le courage d’aller au bout de mes futurs écrits lorsqu’ils seront sous la forme que j’ai choisie, vignettes, fragments, articles, romans, ne doutant plus que je les place à ma manière sur les chemins d’autres pensées, non pour les influencer, mais pour alimenter un flux que je suppose bon dès lors qu’il apporte de quoi se prémunir des voies que j’estime sans issue, comme tout ce qui conduit aujourd’hui à des formes perverses du pouvoir ou des applications que je juge monstrueuses, à commencer par le meurtre que je dois absolument aider à faire disparaître de notre immense projet d’humanité pacifiée.

J’ai commencé à recopier des passages entiers issus des documents que j’ai découverts ici, mais imagine bien les conditions qu’on nous impose pour ça : on entre dans la bibliothèque avec des feuilles vierges et un crayon de papier. Rien d’autre. On a su inventer un moyen ultra moderne nous permettant d’accéder à des fonds suffisamment consistants pour avancer, et côté aventure personnelle, c’est le Moyen-âge. Pour de nombreux textes, il suffirait de me faire une photocopie. Tu les scannes et tu les rends disponibles sur le WEB, et je n’aurais même pas besoin de me plier aux nécessités d’un séminariste. Je pourrais travailler chez moi en pyjama. Mais non, on te rend la tâche pénible. Des feuilles vierges et un crayon de papier. Je passe plus de temps à lutter contre la fatigue plutôt que d’avancer dans l’élaboration réelle de mon projet. C’est épuisant. Il faut passer par là. Le rituel. Tu vas rire, mais quand j’enlève mon pull parce que j’ai trop chaud, et que je le dépose sur le dossier de mon siège (inconfortable), un cerbère se lève et me demande de le déposer dans mon casier à l’entrée de la bibliothèque. L’autre jour, c’était le contraire, j’avais froid, je m’étais entouré d’écharpes, et on m’a demandé si c’était vraiment nécessaire. J’ai un peu craqué. J’ai froid. Oui, une écharpe est nécessaire dans ce cas-là, et je n’ai rien dissimulé dessous. J’imagine qu’on perd beaucoup de temps quand on entre dans une nouvelle recherche et que je trouverai sans doute un rythme plus efficace lors de mes prochains séjours. Je vais repartir avec des dizaines de pages noircies, des bribes. J’écoute la méthode que mon auteure adorée m’enseigne. Il faut s’accrocher désespérément à toutes ces citations pour tenter d’y voir clair. Et se laisser guider. C’est comme ça que je le comprends. Comme je me laisserai guider par ce qui arrive sur mon bureau, mon actualité de pensée. Comme un trapéziste passe d’un trapèze à l’autre. Je fais ce que je veux. C’est ainsi que ce que j’estime nécessaire va se construire. Et je ne vais pas me refaire. Tant pis pour le temps que j’y passerai. J’ai un combat à mener sur le terrain avec mes chers collègues, un combat syndical, un combat politique, là où, avec un petit groupe d’une vingtaine de personnes, on peut intervenir dans les mécanismes de soumission, parce qu’on le fait collectivement avec l’argent de nos impôts. Ce n’est pas privé. Ce n’est pas comme disait l’autre, comme dans une entreprise, celui qui paie qui décide. Celui qui paie, c’est le citoyen, et j’en suis un. Je ne suis pas d’accord pour que ma participation financière à la stabilité politique de mon pays alimente une hiérarchie disciplinaire qui m’imposerait le silence. Les lieux de concertation existent. Nous y serons. Les moyens d’expression existent. Nous nous en saisirons. Et si je me rends compte qu’il y a encore quelque frilosité à vouloir afficher collectivement ce qui doit changer dans notre organisation sociale, je le ferai à titre personnel sous l’égide d’une activité artistique avec un nom d’auteur qu’aucune loi ne pourra obliger. J’ai déjà ma réponse à toutes les formes de contestations auxquelles je m’attends lorsque je propagerai mes premiers textes : c’est une fiction, c’est un poème. Les liens avec notre actualité, il n’y a que vous qui les faites. Jamais le texte ne vous a désignés.

Mille pensées.

À suivre…


Si vous avez manqué le début

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[MATP] – Offrir aux charognards de la démocratie un nouvel os à ronger

Ainsi fut appliquée la première phase de ce grand plan d’attaque, et tout le monde, en partie, plus encore que ce que le Général Popov avait imaginé, fut ravi de la situation. Le bureau de Tartinello fut fermé pour rénovation, et l’homme déjà fort atteint des multiples destitutions qu’il avait subies venant d’en haut, venant d’en bas, prit enfin les rênes de son avenir : chercher tranquillement un poste pour mutation définitive et préparer des vacances bien méritées. Madame de La Porte et Mademoiselle Sitruck nageaient dans leur fonction comme poissonnes dans l’eau pur d’un lac bordé de monts et merveilles, fleuri et ensoleillé. Elles trouvaient enfin l’interlocutrice idéale, agent administratif qui adorerait les listes et les tableaux, les statistiques et les dénonciations. Oh, vous savez, balançaient-elles désormais sans scrupule, celui-ci manque à tous ses devoirs. Il nous grappille chaque semaine un quart d’heure. On peut lui demander de nous aider à la mise sous pli. Il nous doit bien ça. Et celle-là ? Ahahah ! Elle arrive en retard et part en avance. Osez l’application de la loi. Moins 10% de temps de travail chaque année. On verra si elle ne se décide pas à changer de comportement ! De leur côté, la majorité des Druides avait crié victoire. Le Général était bien au placard. C’était le fruit de leurs prises de parole et la signification que le contre pouvoir qu’ils exerçaient au sein de l’Institution pouvait malgré la pression autoritaire renforcée avoir encore quelques conséquences sur le terrain. La plupart, désormais, sillonnait dans les couloirs et ré-apprenait à parler haut et fort. Voyez comme nous avions raison ! Et les adhésions ne cessaient d’entrer dans les caisses. Oui, ils avaient réussi, à nouveau, là où les valeurs démocratiques se travaillent réellement, à l’abri des presses nationales, dans le silence de la territorialité. La toute puissance avait courbé l’échine. Il lui faudrait repartir de presque zéro en prenant en compte les forces en présence. Dès la première semaine, les Druides avaient pris rendez-vous avec la nouvelle Directrice administrative. Alors, nous sommes d’accord : réunion des deux Conseils, trois fois l’an pour l’un, cinq fois l’an pour l’autre, coordonnés par une équipe collégiale dans l’attente de la nomination d’un Super Directeur. Vous vous occuperez des listes de course. La satisfaction d’un travail rondement mené avait éveillé en eux une forme d’arrogance qui allait leur faire oublier, en effet, comme le Général l’avait prédit, de s’intéresser de plus près aux véritables arcanes du pouvoir, ces rendez-vous et ces rencontres auxquels ils ne seraient jamais invités, car la nouvelle Directrice administrative avait beau assumer le rôle qu’on lui avait assigné d’être présente pour accuser les coups, elle finissait toujours ses journées au siège social du Parti pour établir des rapports, et forte des propos qui lui étaient naïvement adressés, elle mit en place ce qui allait bientôt s’imposer à tous sous le célèbre adage : c’est la demande des Élus. Elle avait pour cela deux moyens d’action : la commission et l’audit. Très vite, elle se rendit compte qu’avec une commission, elle ne pourrait se permettre de faire l’économie d’une représentation quelconque tant les Druides étaient aguerris à l’exercice. L’audit avait l’avantage de pouvoir être commandé par une société privée. Son analyse serait rendue publique en temps et en heure. La décision politique s’en nourrirait. Aussi fit-elle assez vite pour l’annoncer dès les Conseils suivants. L’audit allait neutraliser une partie des décisions le temps que le Cabinet rende ses conclusions, puis alimenter l’écriture du nouveau projet d’Établissement que le nouveau Super Directeur aurait mission de mettre en œuvre.

Tout semblait presque honnête. Seul l’un des Maîtres d’armes s’inquiétait de cette mesure qui excluait de fait certains corps de métier d’être représentés. Il allait falloir imaginer comment contrer les décisions qui seraient proposées. Seul le principe de consultation allait l’aider. Il s’engagea dans cette nouvelle lutte : Chère Madame, si votre cabinet a mis en place un audit, c’est qu’il a pour mission de vous rendre quelques éléments de réflexion qu’il faudra transmettre à l’ensemble des services internes avant de le rendre public. Oui, oui, bien évidemment, c’est ce qui est prévu. Vous aurez les documents en consultation suffisamment à l’avance pour émettre votre avis. Oui, mais quand ? Cela fait plusieurs semaines que vous travaillez d’arrache-pied et, permettez-moi cette incise, obscurément, et nous n’avons toujours rien vu venir. Nos travaux ont été commandés par les Élus qui sont en droit de faire le point sur quelques applications techniques liées à leur responsabilité. Il n’y a qu’à ces commanditaires que nous devons des retours. Ces informations leur appartiendront. Ils choisiront la forme et la cadence de leur diffusion interne. Sur ce point, il n’y a pas de droit particulier que vous pourriez nous demander de respecter. C’est leur droit privé. Ils ont payé.

Ainsi la tonalité des échanges dévoilait qu’un grain de sable était en train de s’immiscer dans l’engrenage. L’audit, — et la Directrice administrative se demanda si le valeureux Maître d’armes ne l’avait pas pressenti —, n’était qu’un mot-valise pour autoriser l’administration à faire silence de son action. Il n’existait aucun conseil, elle n’aurait aucun compte-rendu, et pourtant il arriverait le jour où elle imposerait des mesures au nom de ces fictives conclusions qu’elle rédigeait avec l’aide précieuse des stratèges politiques du Parti. Alors, elle garda son sourire de façade, mais la main qu’elle tendait à tous en arrivant ou en partant, devenait de plus en plus molle. C’était le signe que son assurance faiblissait. Elle n’avait pas la poigne de fer que le Grand Nicolas infligeait à tous ses collaborateurs prouvant son invacillante foi. Ah ça oui, elle se sentait bien seule, sur le terrain, et elle n’allait pas supporter longtemps d’assumer la responsabilité d’une destruction massive sans l’appui d’un pouvoir hiérarchique. Il fallait convaincre de vite procéder au recrutement du Super Directeur. Elle aurait le pouvoir de le mettre sous tutelle le temps que l’idée fumeuse de l’audit prenne racine dans l’élaboration du processus, et elle n’aurait plus à devoir répondre de son action politique devant ce petit peuple à qui elle ne devait rien, car cette administration-là, sur ce territoire-là, tel qu’elle l’avait compris et accepté en s’engageant auprès du Grand Nicolas, n’avait pas pour mission de se mettre au service de la proposition populaire, mais bien de bâtir le rempart d’une ambition personnelle dont elle jouirait elle-même du rayonnement lorsque le tapis rouge serait déroulé devant la porte du plus fastueux des palais pour accueillir le nouveau règne de l’absolutisme. C’était, après tout, sur l’illusion qu’il fallait continuer de travailler et offrir aux charognards de la démocratie un nouvel os à ronger la laissant, elle, libre d’articuler tout ce qui était à sa disposition pour profiter d’un temps législatif échappant à toute conscience individuelle, fût-ce-t-elle hautement syndiquée. Elle demanda la publication imminente d’une annonce de recrutement. Et factum est ita. Marc arriva dans l’arène.

À suivre…


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